Un passé qui ne passe pas

Festival de Cannes : neuf femmes accusent Alain Sarde, un important producteur de cinéma français, de les avoir violées ou agressées sexuellement. Les faits dénoncés remonteraient pour la plupart aux années 1980 et 90...

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Festival de Cannes : neuf femmes accusent Alain Sarde, un important producteur de cinéma français, de les avoir violées ou agressées sexuellement. Les faits dénoncés remonteraient pour la plupart aux années 1980 et 90. Comment comprendre que, plus de 40 ans après les faits, ceux-ci soient encore chargés d’émotion et de souffrance, au point que les victimes en soient éprouvées comme si leur agression avait été commise il y a quelques mois ? o-o-o Philosophiquement on distingue deux formes de passé : celui qui vient juste de s’écouler et qui reste confondu avec le présent – qui appartient donc encore à la durée présente. Et puis celui qui est connu comme appartenant au domaine du « déjà-plus », n’ayant pour existence que le fragile support de la mémoire. Le passé « qui est passé » n’est pas celui qui est en cause dans le cas des traumatismes de l’agression, sexuelle ou autre. Ce passé-là, c’est celui qui « ne passe pas ». Or, voilà que le monde peut changer durant ces périodes longues, déplaçant la frontière entre le tolérable et l’intolérable. Car en même temps que la durée change, le monde des valeurs peut changer aussi, admettant parfois l’aliénation de soi-même en fonction d’avantages négociés ; ou au contraire le refusant par respect pour la personne humaine.



Se superposent alors deux temporalité : celle du traumatisme, qui étend le présent sur la période qui va de l’agression à aujourd’hui ; et puis celle de ces valeurs qui, contrairement à ce qu’on imagine, peuvent être considérées parfois comme provisoires. C’est ainsi que les valeurs peuvent parfois avoir une durée d’existence fort courte, alors que pourtant elles sont ressenties comme impérissables. Voilà une des raisons qui explique que la période #metoo que nous vivons actuellement soit si dérangeante : à l’époque des faits, leur gravité était toute relative : après tout c’est comme une coutume, quelque chose que l’on doit subir comme les rites initiatiques dans les populations premières. Que les femmes en soient les victimes, c’est peut-être regrettable : mais la coutume est de le supporter comme un mal qui ne doit pas tirer à conséquence. On peut aussi tolérer ces agressions à condition qu’elles soient liées à une sorte de contrat : on a même inventé pour cela une expression : la promotion canapé : canapé, hélas ! Mais promotion quand même. - Oui, mais les valeurs de droits de l’homme, l’intégrité de la personne humaine, de sa liberté, vous n’allez pas dire que c’est négociable, et que pour le prix d’un rôle au cinéma on peut violer une femme, et qu’elle n’a plus qu’à fermer les yeux sur sa souffrance. C’est que l’extension du présent sur le passé entraine le choc des valeurs : celui relatif, des intérêts qui mettent en présence des individus inégaux ; et puis celui, éternel, du sujet humain dont personne ne doit oublier la prééminence.

C’est cet oubli que le mouvement #metoo révèle au grand dam des oublieux.

La chronique de Jean-Pierre Hamel, Le point du jour (Blog)

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