Ainsi va le monde n° 427 – La poussette

Où les chemins étranges de la virilité

Six, voire huit roues (jusqu'à 27,3 centimètres de diamètre), pneus gonflables, frein à disque avant et frein de parking arrière, guidon ergonomique et système de blocage de direction, 4 roues avant dotée de ressorts, roues pivotantes avec bloque automatique, poignée "soft-touch" réglable en hauteur, dossier inclinable en multipositions. Ceinture de sécurité à 5 points et épaulières de protection rembourrées. De quoi s’agit-il ? Du dernier véhicule 4 x 4 en mal de vente ? D’un VTT ? Ou d’un quelconque bolide bruyant ? Non, il s’agit d’une poussette pour enfant. Vérification faite sur catalogue : les modèles s'appellent Aerosport, Carrera, Vigour, ou encore Mac Laren (pour les plus anciennes) Ce vocabulaire fait résonner la mythologie automobile, les valeurs de puissance technologique qui s'y attachent et explique l'assurance avec laquelle les possesseurs de ces machines investissent les trottoirs, franchissent les passages cloutés avec beaucoup d’arrogance. En l’occurrence, ce sont des hommes. La poussette ainsi virilisée leur permet de compenser un peu de la puissance qu’ils ont perdu en passant à des activités qui pour l’essentiel était du ressort de la femme notamment promener les enfants en poussette. Par un procédé très sophistiqué, ils sont parvenus, pour conserver leur superbe, à ajouter à la fonction de l’objet/poussette, un symbole de virilité (du moins le croit-il) Ainsi, comme la décrit Roland Barthes dans les Mythologies pour l’automobile (la fameuse Déesse Citroën), la poussette n’est pas consommée ici dans son usage mais par son image. Les hommes « au volant » d’une poussette pourrait-on dire, s’approprie en elle un objet parfaitement magique. Les vendeurs l’ont bien compris en proposant non seulement un objet mais une exaltation, une spiritualisation de l’objet. Jean Baudrillard montre que les relations que nous entretenons avec les objets se sont profondément transformées avec l'avènement de la société de consommation de masse. Nous croyons nous entourer de choses, mais ce sont plutôt des significations, des représentations dont nous faisons l’acquisition. Lorsque vous entendrez ces hommes rassemblés autour du dernier modèle de poussette dire sur le mode possessif (comme il le faisait autrefois pour l’automobile) : MES freins, MON aile, MON guidon, Mes pneus… ne croyez pas que c’est de l’ordre de l’avoir. Non, c’est de l’ordre de l’être. Ainsi va le monde... Didier Martz, philosophe « Ainsi va le monde » la chronique hebdomadaire www.cyberphilo.org

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