Ainsi va le monde n°403 - Faut-il dépénaliser le cannabis ?

OU COMMENT UNE INTERDICTION LIBERE...

Malgré l’échec de la prohibition à endiguer la consommation et malgré ses effets pervers, peu de pays osent en sortir. Contravention, dépénalisation, légalisation... telles sont les solutions les plus souvent évoquées. Il est vrai qu'il y aurait quelques avantages à dépénaliser voire à légaliser. Des recettes fiscales qui explosent, une baisse du coût de la répression, la possibilité de réguler le marché, éviter que la consommation continue à se généraliser et, ce qui n'est pas le moins important, prendre soin des consommateurs en contrôlant les composants dangereux des résines de cannabis.

Les dernières déclarations alambiquées du Ministre de l'Intérieur semblent indiquer qu'on se dirige sans le dire vers une dépénalisation. En gros, seraient amendés les porteurs et les consommateurs de cannabis. La mise en place d'un système de contravention pour l'usage – consommation et détention - le sort du champ pénal puisqu'il n'y aurait plus de jugement ni de condamnation. De la même manière qu'un automobiliste est verbalisé pour stationnement illicite sans être jugé.

Dépénalisation ? Légalisation ? Je ne sais mais je pense avec d'autres qu'il y a un effet pervers et un avantage caché à l'interdiction du cannabis et plus généralement à toute interdiction. Les socio/psychologues utilise la notion de « bénéfice secondaire » pour indiquer l'avantage qu'on peut tirer d'une mauvaise situation. Tout aussi paradoxal que cela puisse paraître, et si l'on y regarde bien, un malheur est souvent accompagné d'un bénéfice secondaire, d'un petit bonheur clandestin. A toute chose malheur est bon, dit le proverbe. Et c'est valable aussi pour l'interdiction dans son désagrément et ses tracasseries.

En effet, la logique de l’interdiction, depuis l'enfance, nourrit le goût de la transgression, de la clandestinité, l'empêchement suscite le désir malgré les risques. Et prendre des risques c'est l'occasion de passer l'épreuve de la liberté. Interdire c'est rendre possible le défi et l'affirmation de soi. Défi des messages de santé et de sécurité publique par exemple. Ainsi les fumeurs fument, la consommation d'alcool ne diminue pas, les précautions sexuelles ne sont pas prises et l'excès de vitesse perdure. Il y a dans cette attitude la volonté consciente ou inconsciente de récuser l'attitude paternaliste et autoritaire d'un Etat qui se mêle de l'usage que le quidam veut faire de ses plaisirs. Et bien sûr pour son Bien, pour sa santé et pour sa sécurité. Ce qui est justifié et légitime notamment lorsque la sécurité et la santé des autres est menacée. Mais comme le dit Tom Decorte, professeur de criminologie à l’université de Gand (Belgique), l'Etat ne peut – je cite - « protéger les citoyens contre eux-mêmes et contre leurs désirs, comme des enfants”. C'est la raison pour laquelle toute prohibition échoue dans ses objectifs. Dans l'absolu, la loi va à l'encontre du principe libéral qui veut que chacun doit “pouvoir faire des choix sur son propre corps et son mode de vie”. Dans cette logique, la drogue est un produit qui s'offre sur un marché où se retrouve des vendeurs et des consommateurs libres (sic). Un marché qui se régule tout seul et l'État n'a pas à y intervenir. Il aurait juste à faire en sorte de laisser la possibilité pour chacun de devenir autonome et un citoyen à part entière. Or, il n'est pas sûr qu'acheter et consommer même de la drogue soit l'occasion de faire preuve d'autonomie... Pour devenir autonome il faut bien avoir des repères, pouvoir s'opposer à quelque chose et donc permettre à chacun, petit bénéfice, la possibilité de contrevenir à des lois ! Donc il faut interdire, une sorte d'interdiction qui libère ! Ainsi va le monde ! Mercredi 23 Février 2018

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