Betharram : la seconde omerta ou le retour du refoulé

Un système qui castre, frustre, brise la vie sexuelle récolte ce qu'il sème

Ces religieux agresseurs, attoucheurs et violeurs sont jugés tantôt comme des monstres, des malades mentaux ou des immoraux. Peut-être même ont-ils eux aussi été victimes dans leur enfance des mêmes agressions. Les explications ne manquent pas pour tenter de comprendre cette violence insupportable exercée depuis des lustres contre des enfants et des adolescents. S’y ajoute le silence des institutions et des hiérarchies religieuses pour étouffer ces crimes. Une omerta pour étouffer la parole des victimes et des témoins. Avec la complicité des institutions politiques et des notables courtisans. On employa aussi les mots systémique et violences systémiques. Pour information, un système est un ensemble de pièces qui interagissent entre elles selon certaines règles : une voiture est un système, un corps est un système, mon voisin également, Betharram aussi. Tous les éléments qui composent l’institution interagissent entre eux. Les hommes, les femmes, les élèves, mais pas seulement. Les règles, l’organisation, les relations avec l’extérieur, notamment les notables, les financements, etc., font partie du système. Au-delà pourraient entrer dans le système l’écologie, la guerre en Ukraine ou contre les Palestiniens. Non, l’approche systémique recommande de fixer des limites, de bien cerner l’arrangement et s’en tenir à Betharram ou au collège ou à l’internat ou au bureau du père Carricart. Mais on voit bien que, dans le premier cas, en donnant trop d’extension au sujet, on perd en compréhension et dans le second, si on gagne en compréhension, on perd en extension. Cachou, le chat de mes enfants, miaule, ronronne et joue, pas le Chat en général (autre version du Chien de Spinoza). En se concentrant sur le bureau dudit Carricart et des personnages qui l’occupent, on pourra sans doute gagner en compréhension de ce qui peut s’y être passé, mais on aura perdu de vue tous les éléments extérieurs qui concourent à rendre possible ce qui se passe dans ledit bureau. Alors soit on regarde de près, soit on regarde de loin. L’œil fixé sur l’arbre nous empêche de voir la forêt, mais, en reculant de quelques pas, on saisit l’ensemble du tableau et sa signification. Néanmoins, on sait que le diable gît dans le détail et la victime en sait aussi quelque chose. À Betharram, les faits dans leurs détails ne sont pas loin de nous révéler leur caractère diabolique. Et il ne faudrait pas qu’une approche trop systémique fasse oublier l’horreur et le scandale de comportements individuels. Et noyer le poisson des violences individuelles dans le flou de la prise en compte globale des niveaux individuel, organisationnel ou encore institutionnel bien au-delà des psychologies et comportements d’individus particuliers et de leurs noms. Au passage, je ne suis pas loin de penser que l’approche systémique est une entreprise idéologique visant à masquer les faits et la réalité vécue des victimes de Bétharam. Demandez-leur la différence qu’il peut y avoir entre avoir été violé par un système et avoir été violé par un prêtre. Je reviens, sans l’avoir vraiment quitté, à ma seconde omerta, à un autre silence. Silence sur la violence d’une organisation qui interdit à ses coreligionnaires toute activité et rapport sexuels. Silence sur la plus grande entreprise de castration que l’humanité ait connue. Avec son cortège de refoulement, de culpabilité, de ressentiment. Selon Nietzsche, en assimilant le péché à la chair, au corps et à la sexualité, en enfonçant dans les têtes que le plaisir sexuel et les jouissances et réjouissances sont des perversions, ON a produit des hommes desséchés, coupés d’une partie d’eux-mêmes, coupés de la vie. Des êtres diminués envahis de passions tristes. Avec Sigmund Freud plus tard, elle a encouragé la sublimation, autre manière de détourner les individus de leurs appétits. L’Église, dans cette opération castratrice, a eu une bonne alliée : la philosophie. Elle qui n’a eu de cesse tout au long de son histoire que de promouvoir le Bien, la Vertu, la Pureté. Platon, Descartes, Spinoza, même combat. Et Kant en particulier, imposant un impératif catégorique à la nature humaine, une loi morale chargée d’annihiler son vouloir-vivre. Annihiler, voilà le nihilisme de Nietzsche. « Tous les monstres moraux anciens sont là-dessus d’accord : “il faut tuer les passions” la plus fameuse maxime de ce genre se trouve dans le Nouveau Testament, dans ce sermon sur la montagne où, soit dit entre parenthèses, l’élévation de la vue fait totalement défaut. C’est là qu’il est dit, par exemple, avec application à la sexualité : “si ton œil entraîne ta chute, arrache-le” ; par bonheur aucun chrétien ne suit ce précepte. » Plus loin, dans le Crépuscule des idoles, il ajoute que l’Église n’a pas su mener « une guerre intelligente contre la passion » : « L’église combat la passion par l’excision : sa pratique, son traitement, c’est le castratisme. Jamais elle ne demande : comment spiritualisé, embellir, divinisée, un désir ? De tout temps, elle a insisté sur l’extirpation de la sensualité ». Et le retour du refoulé ne s’est pas fait attendre, à Betharram comme ailleurs : partout on agresse, viole, tue femmes et enfants.

Didier Martz 21 avril 2025

Ajouter un commentaire

Les commentaires peuvent être formatés en utilisant une syntaxe wiki simplifiée.

Ajouter un rétrolien

URL de rétrolien : https://www.cyberphilo.org/trackback/315

Haut de page