« Quand le sage montre la lune, l’idiot regarde le doigt ».
Ce proverbe d’origine chinoise signifie que certaines personnes peu réfléchies (idiotes donc) ne parviennent pas à voir ce qui est pertinent, à voir ce qui est important, ici la Lune et se concentrent sur ce qui en a moins, le doigt. Encore que le doigt n’est pas sans importance puisqu’il est celui qui désigne.
Il désigne, attire l’attention, mais mon chien reste de marbre. Il regarde mon doigt, il me regarde, hébété, mais n’a aucun œil pour la baballe que je lui montre. Il ne voit pas le rapport. L’idiot est comme ce chien qui ne voit que le doigt énervé qui s’agite.
Certaines gens éclairés s’emploient à nous montrer le bon chemin, à regarder plus loin que le bout de notre nez, à prendre du recul. Le philosophe fait partie de ceux-là qui nous indiquent la porte de sortie de la caverne et la lumière. Et il est bien utile parfois de regarder l’astre lunaire plutôt que le doigt qui la montre.
« Parfois », car, comme dans toute recommandation, aussi bonne soit-elle, n’y aurait-il pas un vice caché ? Et si ce geste contenait une tentative de manipulation, de faire prendre des vessies pour des lanternes ? Alors si c’est le cas, c’est le doigt qui devient important, c’est à cet index et à l’individu dit « sage » qui le dresse qu’il faut prêter attention et surtout pas à la Lune ! On sait ce qu’il en coûte de suivre le doigt qui condamne ou qui met à l’index.
La devise de Spinoza, inscrite sur son sceau en cire pour signer ses correspondances, est le mot latin Caute : méfie-toi, sois prudent. Aussi lorsqu’on te montre du doigt une belle chose, une belle idée, un beau projet, méfie-toi.
Le vieux Héraclite d’Éphèse (vers -500 avant notre ère) mettait la prudence sur le même plan que la sagesse. Alors lorsque l’un montre la lune du doigt et l’autre regarde le doigt, quel est le plus sage ou le plus idiot des deux ?
Didier Martz