Invité de l’émission « Quotidien » de Yann Barthès sur TMC, l’ex-président Sarkozy critiquait « cette volonté des élites, qui se pincent le nez, qui sont comme les singes qui n’écoutent personne ». Puis, il s’est interrompu pour dire avec ironie: « Je ne sais plus, on a le droit de dire « singe »? » et d’enchaîner: « Parce que... On n’a plus le droit de dire les... On dit quoi? Les dix petits soldats maintenant ? C’est ça ? Ouais... Elle progresse la société! », a-t-il ajouté en raillant la suppression du mot « nègre » dans l’un des romans d’Agatha Christie.
Accusé de racisme en associant « singe » et « nègre », d'un côté on le défend en disant que ce n'est pas ce qu'il a voulu dire, que le singe auquel il pensait était celui des trois singes symbolisant la sagesse ; de l'autre côté, au contraire, l'association de singe et de nègre n'est pas neutre et repose sur un fond raciste peu surprenant aujourd'hui. Match nul pourrait-on dire ou bien le juge tranchera si tant est que la justice se mêle de cette affaire. En son temps, un membre (en l'occurence une femme) de l'ex-Front National de Rethel dans les Ardennes avait été plus explicite en comparant ou plus encore en remplaçant Christiane Taubira dont nul n'ignore la couleur de peau par un singe mangeant une banane. On saisira la nuance, de taille, entre comparer et remplacer. Et maintenant c'est au tour de Danièle Obono.
J'avais un ami, « franchement noir » aurait dit l'humoriste qui bientôt devrait voir son sketch censuré, un ami qui revendiquait qu'on l'appelle « nègre ». Parce que selon lui, « black », « noir », « homme ou femme de couleur » gomment des conditions historiques d'esclavage, d'exploitation, de colonisation, de racisme, de meurtres... Le mot nègre a lui une force sémantique que les autres mots n'ont pas. Le revendiquer c'est lutter, résister. Aimé Césaire avait une doctrine : «Nègre, je suis et, nègre, je resterai.» et avec elle l'idée d'une spécificité africaine, noire.
Dans le même sens, un homosexuel de mes amis, qui n'était pas noir, et avec qui je m'entretenais de la même question, à savoir comment appeler les homosexuels, signe de mon embarras, me répondait qu'il fallait les appeler « pédés ». Je trouvais que c'était injurieux. Non, me dit-il, au contraire, « pédés » c'est plus qu'une identité c'est une arme contre l'agressivité, la stigmatisation que l'on cache derrière un mot « propre comme homosexuel. D'un côté noir, homosexuel ou encore « personnes en situation de handicap, personnes âgées de l'autre nègre, pédé, infirme, vieillard... », des mots qui claquent contre des mots doucereux. Faut-il appeler les choses par leur nom ? Courir le risque de blesser, de stigmatiser en les nommant justement ? Ou courir le risque de masquer une réalité blessante et stigmatisante en euphémisant ?
Les mots n'ont pas de sens arrêté une fois pour toutes. Leur sens est le fruit de l'histoire et de rapports de force dans la société. Nommer c'est faire exister... plus ou moins bien, plus ou moins mal. Il y a des mots qui tuent et des mots qui font vivre dit Paul Eluard, des mots innocents « le mot chaleur et le mot confiance, amour, justice et le mot liberté, Le mot enfant et le mot gentillesse, Et certains noms de fleurs et Certains noms de fruits, Le mot courage et le mot découvrir, Et le mot frère et le mot camarade, Et certains noms d e pays, de villages, Et certains noms de femmes et d'amis. » Bref des mots « Caresse » pour ne pas faire violence à l’Autre, à la nudité d'un visage (Emmanuel Lévinas) qui s’expose à chaque instant à la possibilité de l’injustice, de l’outrage, du meurtre. Ainsi pourrait aller le monde !
21 Septembre 2020 - Didier Martz, philosophe, auteur « Ainsi va le monde », un recueil de 406 chroniques de 2008 à 2018 chez l'auteur La tyrannie du Bienvieillir, Dépendance quand tu nous tiens, La lumière noire du suicide... chez ERES https://youtu.be/w8slL3xxeSM