3 Bas les masques

D'une prétendue liberté confisquée

C'est une expression du XVIIe siècle, époque où le masque est utilisé au théâtre comme accessoire de la fourberie. Il est alors la métaphore d'une attitude trompeuse. Sur scène, en mettant bas le masque, une prétendue personnalité dite vraie et authentique de l'individu serait révélée. Dans la vie courante, nul besoin de s'attifer d'un masque pour tromper. Il existe suffisamment d'artifices pour falsifier et travestir la réalité de ce que nous sommes, si tant est que nous soyons. C'est d'ailleurs devenu un véritable sport qui exige entraînement et compétences. Dans la Grèce antique, parmi les différentes significations du mot prosôpon, on trouve celle d' « expression du visage », de « façade », de « masque ». Par un de ces tours de magie dont le langage fait sa spécialité, il en vient à désigner la « personne » au sens de personnage de théâtre. En latin, persona, personare renvoient au masque qui fait résonner la voix. Aujourd'hui « personne » désigne autant le personnage que la personnalité avec une connotation morale comme lorsqu'on parle de la dignité ou du respect de la personne. Si l'on remplaçait personne par citoyen la tournure serait bien différente. Il s'agirait alors du respect du citoyen. Ainsi des questions politiques dont la réponse est politique sont masquées par des questions éthiques.

En société une personne porte toujours un masque. Les rôles sociaux qu'elle doit jouer l'oblige en quelque sorte à avancer masquée pour s'adapter aux différentes situations. Aussi le fait de porter une masque ne change rien sur le fond. Bien au contraire il permet d'être en société sans besoin d'artifices et revenant sur la scène du théâtre de masquer la fourberie ! Ou bien nous considérerons que la personnalité d'un individu tient dans les masques qu'il porte et rien au-delà.

Mais à propos du masque on pose tellement de questions qu'on se demande s'il faut le porter : Est-il efficace ? Filtre-t-il correctement ? Quelle différence entre le chirurgical et le masque en tissu fait maison ? Quels effets secondaires ? Le porter dehors ? Le changer régulièrement ? Le laver à 60 degrés ? Et savons-nous le porter ?... Quoiqu'il en soit de ces questions le masque globalement est porté. Plus ou moins adroitement mais il est porté. Par peur, par soumission à l'autorité ou, plus raisonné et raisonnable, parce que chacun a compris que les conséquences seraient plus graves s'il ne le portait pas. Ici le principe de précaution joue à plein et sans doute aussi le « principe responsabilité » du philosophe Hans Jonas. Selon Jonas, nous devons avoir de la sollicitude pour les autres et par conséquent celle-ci nous interdit d'agir de telle manière que l'existence d'autrui, aujourd'hui et demain, puisse être mise en danger. Aussi être prévoyant c'est toujours considérer les conséquences de nos actes et voir le côté le plus pessimiste des choses. Donc foin des débats philosophiques sur la responsabilité ou la liberté : porte-le masque et tais-toi ! Car si tu ne le fais pas les conséquences seront plus graves que si tu le portais ! Pour les autres et pour toi-même.

Mais un autre débat s'ouvre. Avec le port du masque notre liberté serait remise en cause. Argument porté par ceux appelés « les anti-masques » ou qui reprennent le slogan « Bas les masques ». Mais de quelle liberté s'agit-il ? Celle, fictive, de pouvoir faire ce qu'on veut ? Nous faisons rarement ce que nous voulons. Je ne vois pas d’autres raisons hormis celle d'une contrainte pas plus terrible que celle de mettre sa ceinture de sécurité qui, elle, est largement acceptée. C'est donc une liberté creuse revendiquée, infondée dans ce débat. Un débat trompeur alors qu’il y a tant d’autres libertés, non fictives celles-là, à défendre. Tant de libertés mises à mal par ailleurs et pour lesquelles il conviendrait de se mobiliser... masqué ou pas. Ainsi pourrait aller le monde !

Didier Martz, philosophe. Le 7 Septembre 2020

Ainsi va le monde Une collection de 406 Chroniques sur le monde comme il va 2008 - 2018 Chez l'auteur

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