10 Chronique du Corona Virus : Je ne suis pas un héros...

OÙ ce qu'il en coûte de ne pas rester là où on nous a placés...

Je vous propose une réflexion qui paraîtra sans doute dépassée eu égard au rythme auquel va ce qu'on appelle l'actualité. En effet, vous l'avez noté, une actualité dépasse l'autre à la vitesse de la lumière et par conséquent recule dans le temps. A cette vitesse un fait qui s'est passé objectivement hier se met à dater de plusieurs années dans les consciences. Ainsi de ce moment, en pleine crise, où des individus ont été promus au rang de héros, en l'occurrence les soignants. Elargissons aux aides-soignants et plus encore à tous ceux qui ont participé au combat en nettoyant et désinfectant le champ de bataille. On dira plutôt, celles qui ont participé au combat car ce sont en majorité des femmes surtout au bas de l'échelle.

Bref, toutes ces personnes dont on se préoccupait peu jusqu'à alors rassemblées sous l’appellation personnel hospitalier changent de statut et deviennent des héros. C'est qu'à ce moment-là nous sommes en guerre contre un virus et ces dits personnels sont mobilisés. Comme des soldats ils montent au front, en première ligne, s'exposent au feu de l'ennemi. Le plus souvent sans armes, sans blouses, ni masques, ni gants. Mais c'est justement ce dénuement qui fait que leur comportement puisse devenir exemplaire et héroïque. Avec le dénuement, le danger et les risques aussi. N'est pas héros qui veut, il faut que les conditions soient remplies. Et il faut remplir les conditions qui font d'un individu un héros : du dévouement, du courage, de l'abnégation. Comme en 14, nous eûmes alors nos héros, célébrés comme il se doit : casseroles loquaces, applaudissements nourris, balcons peuplés et fenêtres écloses. Il est 20 heures.

Mais voilà que comme Balavoine en 1980 ces personnels héroïques crient « nous ne sommes pas des héros, nous faisons juste notre travail ». Daniel Balavoine le chantait en 1980 dans un album au titre prémonitoire : « un autre monde. » « Je n' suis pas un héros » sans doute pour prévenir les déboires qui suivent une trop rapide ascension au sommet de la gloire. Il ajoutait : « il ne faut pas croire les journaux » qui montent les faits et les individus en épingle et qui du jour au lendemain les laisse choir. 40 ans après Balavoine, en 2020, des gens crient nous ne sommes pas des héros, nous ne faisons que notre travail. Et pour faire notre travail, il nous faut des moyens humains et financiers.

Et c'est là que le bât blesse car un héros doit rester en dehors du commun pour être reconnu comme tel. Par ses actes, il incarne des valeurs dans lesquelles nous nous reconnaissons. La vie en effet offre peu d'occasions à l'individu lambda de se comporter en héros et peu de possibilités de sortir un quidam de l'eau ou des flammes ou de sauver une fillette au balcon du 4ème. Aussi le héros doit avoir quelque chose d'autre ou fait quelque chose d'autre qui ne permette pas de l'assimiler à l'homme ou la femme ordinaire si l'on veut s'y identifier.

Le héros est un être transcendant. Revenir sur terre, demander des moyens, des blouses et des masques, c'est trop trivial. Comme le dit René Girard, le désir fantasmatique d'être l'Autre, d'être comme lui s'éteint dans la banalité. L'illusion selon laquelle le héros pouvait renvoyer à une sorte de transcendance disparaît dans le commun. Le héros c'est celui qui n'est ni trop proche, ni trop loin. Trop proche il est comme nous, ordinaire ; trop loin il est Dieu, inaccessible. Comme Ulysse, le héros grec n'est ni Dieu, ni vraiment homme. Enfant, après avoir lu ses aventures, je pouvais jouer à être Zorro, à faire comme si j'étais lui sans l'être jamais vraiment. Etre hors du commun est une position difficile à tenir surtout lorsque Zorro descend de son cheval pour aller travailler, défiler dans les rues pour demander des moyens supplémentaires, bref pour s'occuper du politiquement trivial.

Alors, privés de leurs héros, les casseroles déçues se taisent, les applaudissements dépités s'apaisent, les fenêtres désappointées se ferment, les balcons frustrés désertent. Le couvercle de l'extra-ordinaire se referme. Ainsi va le monde...

Didier Martz, 6 Juin 2020 Essayeur d'idées, philosophe Ainsi va le monde, un livre de Chroniques philosophiques de la vie ordinaire 416 pages (chez l'auteur) – cafedephilosophie@orange.fr www.cyberphilo.org - facebook https://youtu.be/VT90-ditxh8

Ajouter un commentaire

Les commentaires peuvent être formatés en utilisant une syntaxe wiki simplifiée.

Ajouter un rétrolien

URL de rétrolien : https://www.cyberphilo.org/trackback/173

Haut de page