5 – Chronique du Corona : Le danger qui nous menace

Où si, selon le philosophe Bergson, conscience et mouvement vont de conserve, alors qu'en sera-t-il de l'immobilité du confinement ?

Au préalable on voudra bien faire un court détour par la thèse résumée ici d'un philosophe. Il s'agit de Henri Bergson. Un philosophe français. Bergson c'est Paris en 1859 lorsqu'il naît et c'est encore Paris en 1941 lorsqu'il meurt. Sa thèse principale est qu'il y a de la conscience partout. De la matière inerte jusqu'à l'homme. Une thèse qui fera plaisir aux partisans de l'idée selon laquelle il y a une conscience chez les plantes et les animaux et qu'on ne peut éplucher une carotte sans impunité morale. Bergson va plus loin : il y a de la conscience dans toute matière et peut-être même dans la pierre ! Sauf, ajoute-t-il qu'à ce niveau elle n'est pas nulle mais « annulée », endormie, assoupie. Par contre au fur et à mesure que l'on monte l'échelle des espèces, la conscience s'éveille, s'épanouit pour arriver à son maximum chez l'homme. Par quel mystère ?

Eh bien, par le mouvement, la mobilité. En effet nous dit Bergson « Il est douteux qu'on rencontre de la conscience dans les organismes qui ne se meuvent pas spontanément... » Pourquoi ? Parce que ne changeant pas de milieu, étant comme assigné à leur résidence, ils « n'ont pas de décision à prendre » puisque tout est toujours pareil, que rien ne change. Ainsi, au hasard, le champignon. Toujours dans le même environnement, il a tout sous la main pour vivre et n'a pas besoin de se déplacer. Pas d'incertitudes, pas besoin de choisir, de prendre des décisions, bref pas besoin d'éveiller sa conscience, de la mettre en route. « …. la conscience, écrit Bergson, originalement immanente à tout ce qui vit, s'endort là où il n'y a plus de mouvement spontané... » Par contre, elle « … s'exalte quand la vie appuie vers l'activité libre. » Activité qui ne peut avoir lieu que lorsque l'individu est conduit à faire des choix parce qu'il est plongé dans un environnement différent, incertain, surprenant.

En résumé – toujours selon Henri Bergson - une matière informe et à l'origine « vaguement consciente » va avoir deux voies possibles pour grandir et évoluer. Soit, elle va dans le sens de l'action, se mettre en mouvement donc vers plus de possibilités de choix et de liberté ; soit « elle abandonne la faculté d'agir », la faculté de se mettre en mouvement, car elle a sur place tout ce qu'il lui faut qui lui évite de se déplacer et « c'est alors l'existence assurée, tranquille... mais c'est aussi la torpeur, premier effet de l'immobilité ; c'est bientôt l'assoupissement définitif, c'est l'in-conscience. » Une sorte de conscience végétative.

Par une extension sans doute abusive c'est donc dire que tout être qui ne bouge pas ou qui bouge peu, tout être dont le milieu est toujours semblable à lui-même est menacé de voir sa conscience s'annuler. Pas disparaître non, mais s'annuler.

Ainsi dans le confinement et l'immobilité qui l'accompagne, la torpeur physique et intellectuelle gagne progressivement. La conscience s'assoupit et s'endort dans le ronron télévisuel. Et sombrent avec elle, l'esprit et la vigilance critique.

On contrariera ici la thèse de Henri Bergson avec Xavier de Maistre. Il écrit en 1794 « Voyage autour de ma chambre » dans laquelle il est assigné pendant 42 jours. C'est l'occasion pour lui de laisser aller son imagination sollicitée par chacun des objets qu'il rencontre dans la pièce. Chacun va provoquer la réflexion, mettre la conscience en éveil. Essayez, entraînez-vous ! Regardez ce vase, d'où vient-il ? Cette écorchure sur le parquet ou ce coup sur le carrelage, que leur est-il arrivé ? Ou même cette cicatrice sur la main ? Vous n'aurez pas assez de 42 jours de confinement pour venir à bout de l'âme de ces petites choses rendues insignifiantes par l'habitude.

Par la même occasion on en profitera pour contrarier l'idée que la mobilité, maître-mot de la réalisation de soi, du développement personnel et marqueur d'une identité, soit une vertu. Ou bien alors de « petite »... Ainsi va le monde !

Post scriptum : on me signale que le champignon ou eucaryote pluricellulaire se déplace ! Dont acte.

Didier Martz, philosophele 3 Mai 2020 Ainsi va le monde - Chroniques philosophiques de la vie ordinaire - 400 pages. Www.cyberphilo.org

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