436 * - Voyager

Alors que nous entrons en récession, qu’ici on opprime, là on souffre, j’ai quelques scrupules à traiter de sujets qui peuvent paraître anodins. Mais seulement anodins, à mon sens, au regard de l’actualité. Vous me direz que s’agissant de l’oppression, de la souffrance, cette actualité-là a plutôt tendance à rester toujours actuelle !

Ceci étant, il est des évolutions auxquelles nous ferions bien d’être attentifs car elles dessinent ce que sera notre monde demain, le monde de nos enfants, sans préjuger si elles sont bonnes ou mauvaises. A vous de voir.

J’en prendrai une, celle concernant le voyage et sa disparition progressive. Au retour d’un séjour effectué à quelques 7000 kilomètres d’ici, Cuba pour ne pas le nommer, la première chose à constater est que le voyage n’existe plus. Le voyage, c’est-à-dire ce qui se passe entre le départ et l’arrivée. Hormis les quelques films que l’on peut regarder sur l’écran individuel, les plateaux-repas distribués à intervalles réguliers et les turbulences traversées par l’avion, il ne se passe plus rien. Rien qui n’indique que l’on est sorti de chez soi, rien qui n’indique que l’on se déplace. La chose n’est pas nouvelle. Dans une moindre mesure mais dans le même esprit, le TGV et sa grande vitesse effacent le voyage pour ne garder que le départ et l’arrivée. Pas le temps de s’installer dans une durée. Le philosophe Alain notait déjà au début du XXe siècle que lorsque l’on voit les choses en courant, elles se ressemblent beaucoup. Un torrent, c'est toujours un torrent. Ainsi celui qui parcourt le monde à toute vitesse n'est guère plus riche de souvenirs à la fin qu'au commencement. La vraie richesse des spectacles est dans le détail.

Or aujourd’hui, il n’est plus même question de voir globalement ou en détail. Au cours du déplacement, tous les paysages, toutes les sensations s’effacent. Circulez, en effet, car il n’y a plus rien à voir !

Paul Virilio, architecte, urbaniste et philosophe, note que nous sommes passés du triptyque départ – voyage – arrivée, au diptyque départ – arrivée et aujourd’hui à la seule arrivée. Le premier correspond à l’époque de la poste et de la diligence : Sous Louis XV, le voyage en carrosse de Paris à Strasbourg se faisait en onze jours. On imagine que départ, arrivée et voyage avaient une égale importance.

Avec l’accélération de la vitesse grâce au train, l’avion et l’automobile, la durée du déplacement se raccourcit, devient même une corvée atténuée par les aires d’autoroute au nom bucolique qui tentent de nous rappeler qu’il y a un monde à voir au-delà des glissières. Seuls subsistent alors le départ et l’arrivée. D’ailleurs, vacanciers et touristes, ne vont plus à Venise ou en Inde, ils font Venise puis l’Inde ou l’Himalaya. Entre aller à et faire, disparaît l’idée que l’on voyage.

Enfin, dernière phase de l’évolution, dit Virilio, avec les technologies de la communication (auxquelles on ajoute improprement de l’information), il ne reste que l’arrivée. En effet tout arrive, le monde arrive sur les écrans de l’ordinateur et de la télévision. Ne partant plus, nous ne nous déplaçons plus et n’avons même plus à arriver.

Ainsi va le monde.

Didier Martz, www.cyberphilo.org

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