La philosophie a-t-elle un sexe ? Oui : il est masculin ! Didier Martz

L'exposé de Didier Martz lors du Vendredi de la philosophie du 28 février à Reims. Il suit celui de Jean-Pierre Hamel présenté dans un billet précédent.

« Les thèses, pour les neuf dixièmes, sont des alibis de fantasmes » (Roland Barthes) « Tout se décompose en thèses » (Paul Valéry)

1 Antichambre J’écarte d’emblée de la réflexion la question de la présence des femmes en philosophie ou dans le champ philosophique. Même si l’on ne sait pas exactement ce qu’il en est de la philosophie ou de la pratique philosophique, on remarquera que les femmes y sont très peu présentes et que le champ philosophique est principalement cultivé par des hommes. Absence tout au long de l’histoire de la philosophie au moins depuis les présocratiques et Platon. On sauvera l’honneur en citant quelques noms au moins pour laisser entendre qu’elles sont capables d’en faire, de la philosophie. Sans que l’emprise des hommes sur ce domaine en soit même égratignée. Que les femmes en soient capables (de faire de la philosophie), on le montrera par leur intervention de plus en plus fréquente et massive, au moins depuis le XXe siècle, en philosophie. La liste est longue. Sans compter qu’elles sont aussi très présentes dans nombre de domaines d’activités intellectuelles et pas seulement philosophiques. Elles restent aussi très présentes dans le domaine des activités ménagères et sont capables de faire deux journées de travail en une, professionnelle et domestique. Pour la première, elles peuvent travailler bénévolement pendant un mois et demi. Mais c’est bénévole, bene volens, de bonne volonté. Toujours prompte à généraliser, il faudrait tout de même que la réflexion s’offre un peu de sociologie faute d’analyse de classes. Quoi de commun entre le régime social de célébrités comme Simone de Beauvoir, d’Hannah Arendt, Martha Nussbaum, etc., (qui ont ou qui ont eu des femmes dites de ménage) et celui des petites mains de la philosophie qui rarement accèdent au hit-parade des philosophes ? La philosophie est un marché libéral sur lequel trônent ceux qui ont les moyens de s’acheter un kiosque. À première vue (il y en aura sans doute une deuxième), on notera que, lorsque des femmes interviennent dans ledit champ philosophique, hormis leur nom de femme, elles n’apportent rien de spécifique, quelque chose qui leur serait propre. Par exemple, en apportant un peu de douceur dans ce monde de brutes masculines. Ici, on voit poindre une « nature féminine » qui jamais ne devient, immuable, toujours prête à ressurgir. C’est en débat : on naît femme et on le reste ou bien on ne naît pas femme et on le devient. Idem pour les hommes. Maintenant, prenons ces femmes philosophes. Est-ce que le « Je pense donc je suis » de René Descartes, philosophe à tendance masculine, peut être énoncé par une femme ? Le concept de « banalité du mal » d’Hannah Arendt, philosophe à tendance féminine, produit par un homme ? Et que le « considérer autrui comme une fin et non comme un moyen » de l’austère et rigoriste Emmanuel Kant, très masculin, pourrait être dit par une femme ? Et puis, pour dépasser cette approche un peu trop genrée, on pourrait se demander ce qu’il en est pour un individu transgenre. Il n’en serait rien, car il s’exprimerait avec les mêmes mots. Pour clore, retenons tout de même deux choses, deux présupposés qui ne sont pas sans incidence sur notre sujet. D’une part, il s’inscrit dans une société capitaliste genre libéral qui place l’individu au centre et que, parmi ces individus, dominent ceux qui sont de sexe masculin. Ou bien des femmes, en général de sexe féminin, qui sont des « hommes comme les autres » ; d’autre part, et à la mode de chez nous, nous raisonnons toujours en mode binaire, homme/femme et avons perdu l’androgyne. Il a fallu que Paton/Zeus le coupe en deux. Une pensée oxymorique est-elle possible ?

2 Les anges ont-ils un sexe ? 1 Par ce type d’association propre à la pensée qui pense, la pensée qui « va à gambades », qui se soucie peu du discours ordonné en grand I, II et III et en thèse, antithèse, synthèse, m’est venue cette question il y a longtemps posée : Les anges ont-ils un sexe ? À part la résonance, on ne voit pas bien le rapport avec l’autre question, la philosophie a-t-elle un sexe ? D’ailleurs, avant même de commencer à élucubrer, nous aurions pu la soumettre à la question : quel intérêt ? Quel enjeu ? Est-ce si important à déterminer ? La philosophie, les anges ? Une question purement intellectuelle difficile à s’incorporer. Les théologiens de l’Europe médiévale débattaient beaucoup de la nature des anges, de leur existence, de leurs caractéristiques et de leur genre. Ils considéraient les anges comme des êtres transcendants, divins, sans forme corporelle ni besoins physiologiques Êtres divins, ils ne pouvaient être humain avec tout cela comporte de salissures. Aussi, la question du sexe des anges ne devrait pas se poser. Le sexe renvoyant à la reproduction et nécessairement au rapport sexuel. Or, la question se posa. C’est que lesdits anges, tout êtres spirituels et célestes qu’ils soient, devaient avoir à faire avec des êtres humains de chair et d’os. Un peu de ces dieux grecs qui n’hésitent pas à descendre sur terre et à se mêler des affaires humaines. En effet, il est difficile pour l’ange Gabriel d’annoncer à la Vierge Marie qu’elle va donner naissance au fils de Dieu sans prendre de forme ni de matière. Et on imagine mal que Dieu lui-même puissent intervenir. Les théologiens de l’époque sont bien dans l’embarras. Comme Baudelaire qui, lui aussi s’interroge dans Les fleurs du mal sur ces êtres bien ambigus. 2 D’un côté ou plutôt en haut, Dieu purement spirituel. Ses voies sont impénétrables. Même profondément croyant, même en usant et en abusant de prières et de dévotions, ou en achetant des indulgences, toujours quelque chose échappe. Seuls certains élus, touchés par la grâce, la grâce de Dieu, pourraient, paraît-il, éclairer certains mystères. Mais, malgré leurs efforts, Dieu reste inaccessible. Et ce ne sont pas nos petits esprits étroits, bornés qui pourraient permettre d’établir une relation. Certes, Dieu nous a créés à son image, mais pas entièrement. Nous sommes des êtres inachevés, néoténiques (Dany-Robert Dufour). Sur les plans physique, intellectuel et spirituel. Cependant, Dieu craignant que nous le délaissions a installé en nous un peu de divin pour que l’on pense à lui. Saint Thomas parle d’une âme altérée, ébréchée qui lui permet de s’ouvrir au divin. Donc, entre Lui et Nous, il y a un sérieux « gap ». Alors, comment articuler les deux ? Et bien, en créant des êtres chargés de faire les médiateurs qui soient un peu de Lui et un peu de Nous. Un peu spirituel et un peu matériel, un peu au Ciel et un peu sur Terre. Humains et non-humains. Pas facile à réaliser. Comme ces organismes qui peuvent vivre dans l’eau et à l’air. Alors, nos érudits inventèrent ce médiateur, l’ange, l’ange amphibie, divin et matériel. Notons quand même que, dans la plupart des situations, même si les anges n’ont pas de sexe, ils sont quand même genrés, et plutôt du genre masculin. On peut en effet être du genre masculin sans avoir le sexe correspondant et inversement. Dieu n’a pas attribué de genre spécifique aux anges. Certains croient que les anges sont androgynes et choisissent le sexe adapté aux missions qu’ils effectuent sur Terre et en fonction de ce qui sera le plus efficace. Mais, la plupart du temps, ce sont des ILS plutôt que des ELLES. À l’appui, la Bible. Les seuls noms d’anges qui y figurent sont des Michel, Gabriel et Lucifer. Des noms masculins. Philosophiquement, il faudrait considérer « ange » comme un concept, comme un personnage conceptuel (Deleuze, "Qu’est-ce que la philosophie ?"), c’est-à-dire un individu réel ou fictif à qui on demande de bien vouloir prendre en charge une idée ou une pensée ou une démonstration. Et permettre la résolution d’un problème philosophique singulier. Ici, ayant posé arbitrairement une transcendance (Dieu) et son pendant, l’immanence (des êtres humains), comment les articuler ?

3 – Où l’on revient à notre question On ne perçoit pas encore quel rapport il pourrait y avoir entre les philosophes et les anges. Nous y venons. La problématique dans laquelle sont enfermés les théologiens a été mise en place bien avant par les philosophes grecs et en particulier par Socrate/Platon. Pour faire court et simple, le dispositif théorique inventé par Platon est fait de deux pièces : un monde sensible, la Terre, et un monde intelligible, le Ciel. Séparés. Curieusement ressemblant, en version laïcisée, au monde des théologiens. Platon réalise un véritable coup de force, car, chez les anciens Grecs, le monde, le cosmos, implique une totalité close, qui englobe l’ensemble de ce qui existe. Rien ne transcende même pas les Dieux. Le discours du mythe est en parfaite harmonie avec le cosmos, ordre et beauté. Même s’il présente des tours chaotiques. Le chaos, contrairement à nos conceptions, fait partie du cosmos. Le « chaosmos » dit Deleuze. Le conflit, père de toutes choses (Héraclite), assure l’équilibre et l’ordre du monde. Tout est pris dedans, rien ne lui est extérieur. Avant même de savoir que le monde était un monde sensible, les gens vivaient bien dedans grâce à leurs sensations et quelques savoirs techniques. Ils n’avaient pas de croyances – mot que nous projetons – puisque rien ne leur était extérieur, rien de transcendant, même pas l’Olympe. Nous de l’extérieur, spatial et temporel, nous dirions avec Platon que, dans ce monde devenu théoriquement « sensible », les choses sont multiples, continuellement changeantes, en proie au temps et au devenir. On se demande quelle mouche l’a piqué, mais voilà que Platon/Socrate estime que ce monde n’est pas satisfaisant, que ce n’est pas le vrai monde, que la vie est ailleurs. La vraie. Et voilà qu’il rompt le bel agencement du cosmos en le séparant en deux mondes qu’il nommera le monde sensible et le monde intelligible. Solution de continuité. Selon lui, nos sens nous donnent accès à un monde qui n’est pas le réel, qui n’est qu’une apparence. Au-delà de ce monde sensible se trouve, le monde intelligible, le « monde des Idées ». Ce monde contient des Formes modèles de chaque être dans le monde sensible. L’Idée de table, par exemple, regroupe en elle toutes les tables existantes. La réalité de la table n’est pas son existence même, sa matérialité, mais son Idée. Jean-Paul Sartre, philosophe libéral, énoncera magistralement ce schéma par la formule : l’essence précède l’existence. L’Idée existe avant la réalisation de la table, le patron avant celle de la robe. Mais notre philosophe, affirmant le contraire, est toujours pris dans le même schéma qu’on peut tourner dans tous les sens : essence/existence, existence/essence, etc. Si cette séparation n’avait que des conséquences théoriques, on s’en accommoderait – encore que – mais elle a des conséquences pratiques. Viennent se greffer des considérations morales et politiques. Être dans le monde sensible et y rester, ce n’est pas bien. Vivre dans une caverne toutes ses journées, ce n’est pas bien. Devant un écran, non plus. Alors, Platon estime qu’il faut en sortir pour accéder au vrai monde. Qu’on le veuille ou non. Ce qu’on appellera ultérieurement l’émancipation ou les Lumières. L’émancipation a quelque chose de nihiliste, quelque chose du forçage. Les forceps sont les concepts. Ici, nous retrouvons nos théologiens se creusant la tête pour savoir comment passer de l’humanité sensible au monde divin, intelligible. Platon est confronté bien avant l’heure au même problème : comment accéder aux Formes ou Idées. Dans l’Hippias majeur, par exemple, Socrate ne se contente pas de savoir ce qui est beau : une belle jeune fille, une marmite, mais il cherche à connaître ce qu’est le Beau. Le beau en soi. C’est ici que ça dérape. Pour saisir le monde, il faut s’en extraire, se mettre en dehors pour l’observer. Et s’en extraire pour tenir un certain type d’énoncé : le logos. Un peu plus tard, au IIIe siècle, toujours en Grèce, Archimède de Syracuse traduira cette démarche de sortie du monde par la formule : « Donnez-moi un point d’appui, et je soulèverai le monde. ». Et voilà notre Socrate, transformé en ange-philosophe faire le médiateur entre le monde sensible et le monde intelligible. Et c’est toujours la même problématique dans les logiques binaires à l’intérieur desquelles « pensent » les philosophes. Soit un corps, soit un esprit, comment les faire « marcher » ensemble ? Descartes : grâce à une glande, la glande pinéale. Kant, confronté au même problème, trouve une « solution » alambiquée : un petit coup d’idéalisme, un petit coup d’empirisme et le tour est joué. L’ange philosophe s’élève par la pensée, il se tourne vers le Soleil, l’intelligible, même s’il est ébloui au départ. Il sort du monde entendu comme monde sensible, sa pensée est immatérielle. Sans matérialité, elle n’a pas de sexe ! On reprendra l’idée émise supra que « même si les anges n’ont pas de sexe, ils sont quand même genrés, et plutôt du genre masculin ». La philosophie pourrait fort bien ne pas avoir de sexe qu’elle serait quand même genrée et du genre masculin. Voyons pourquoi.

4 – Où l’abstraction est une érection La caractéristique centrale du dispositif platonicien est le passage à l’abstraction. Il faut en effet s’abstraire du monde sensible pour accéder au monde intelligible. S’en dégager, s’en sortir. Abstraire, c’est aussi décontextualiser, isoler, séparer. Ce sera instaurer une coupure dans le muthos, le mythe en y introduisant le logos. Nietzche fut celui qui dénonça ce coup de force métaphysique. Le mythe raconte une histoire : c’est sa propriété principale, c’est aussi son principal défaut pour Platon (même s’il en fit grand usage). C’est en effet ce qui l’a disqualifié historiquement, au profit d’un autre régime discursif, celui du logos, c’est-à-dire du raisonnement logique. Platon a distingué nettement ces deux types de discours, inexistants dans la Grèce antique, et a instauré la suprématie du logos sur le muthos. Nietzche cherchera à faire revivre le mythe, de préparer sa renaissance, en inventant une philosophie qui raconte la sagesse, plutôt qu’elle ne l’explique dans un discours logique (Ainsi parlait Zarathoustra). Pas d’abstraction dans le mythe, pas de concept. On raconte. Hercule réalise douze travaux au nom éponyme. Comme les anciens, les enfants s’émerveillent. Nulle interprétation, Hercule est juste fort. Arrive l’interprétation, la sortie abstraite du mythe : « ce mythe nous enseigne la valeur du dépassement de soi face à l’adversité, mais attention aux acquis obtenus, car, ceux-ci peuvent devenir notre ruine » et bla, bla, bla. Œdipe tue son père, épouse sa mère, un conte terrible, mais voilà Freud qui en fait un complexe. Le logos comme abstraction s’élève en dehors du monde, s’érige, se dresse. L’abstraction est une érection. L’édification d’une entité au sein des récits mythiques, au sein du monde sensible. Karl Marx dans « La Sainte famille » avait décrit ce processus tout à fait platonicien. Je prends des fruits réels, divers et variés, « pommes, poires, fraises, amandes » et je forme une abstraction : la notion de « fruit » qui rassemble toute cette diversité. Cette érection dans le monde vivant des fruits se dresse, s’impose, au point que je puisse penser que c’est « un être qui existe en dehors de moi » et « constitue l’essence véritable » de chacun des fruits réels. Et Marx poursuit : « Ce qui est essentiel dans ces choses, ce n’est pas leur être réel, perceptible aux sens, mais l’essence que j’en ai abstraite et que je leur ai attribuée, l’essence de ma représentation : « le fruit ». Ainsi, chacune des choses fruitées ne « sont que de simples formes d’existence, des modes « du fruit ». Et même si mon entendement fini, appuyé par mes sens, distingue, il est vrai, une pomme d’une poire et une poire d’une amande, ma raison spéculative déclare que cette différence sensible est inessentielle et sans intérêt. Elle voit dans la pomme la même chose que dans la poire, et dans la poire la même chose que dans l’amande, c’est-à-dire « le fruit ». Les fruits particuliers réels ne sont plus que des fruits apparents, dont l’essence vraie est « la substance », « le fruit ». Le « fruit » est sans saveur et le mot « chien » n’aboie pas. La pensée spéculative qui procède par abstraction et donc érection est au cœur de la pensée philosophique. Le logos est un pénis en érection. La philosophie a un phallus, elle a un sexe. Et il s’expose dans toutes les sphères de la société. Notamment dans les architectures phalliques. Par tout s’érigent clochers, minarets, campanile. Puis, n’en pouvant plus, ex-World Trade Center aux États-Unis, Burj Kalifa à Dubaï et autres, le monde entre en érection, monde turgescent où c’est à celui qui aura « la plus grosse ». M’essayant à la psychanalyse urbaine, je constatais que le seul monument qui subsistât après l’anéantissement de la ville entre la gare de Reims et la cathédrale fut une fontaine, la fontaine Subé, une colonne en érection décalottée de 17 mètres de haut avec un ange posé à son sommet. Et alors ? Alors, lire Flaubert. « Bouvard et Pécuchet venaient de se transformer en archéologues et avaient étudié les menhirs de Guérande, Chichebouche, Croisic, et Livarot. Aux personnes qui leur rendaient visite, ils demandaient : “À quoi trouvez-vous que cela ressemble ?” Puis, ils confiaient le mystère – et si l’on se récriait, ils levaient, de pitié, les épaules. » On imagine les visiteurs repartir honteux et blessés, la queue entre les jambes pour celles ou ceux qui en avaient une.

La philosophie, dont le mode est le passage à l’abstraction, est une érection sur un monde sensible lisse. S’y affirme la virilité des hommes. Nul n’y pénètre s’il – ou si elle – n’en a adopté la forme phallique, ne serait-ce que symboliquement. Et c’est là aussi que s’exerce la domination. La seule possibilité pour les femmes, privées du phallus, est de s’inscrire dans leur discours, de procéder par abstraction. Et elles savent le faire avec souvent beaucoup de magistralité. On objectera que les femmes ont un clitoris qui, lui aussi, peut se dresser et que l’érection/abstraction ne serait pas seulement une affaire d’hommes, même en modèle réduit. Sauf que dans le monde des représentations n’est rendu visible que le sexe masculin et, pour asseoir une domination, il faut que ses symboles soient rendus visibles. Les slips ou caleçons d’un genre l’autre sont particulièrement démonstratifs de ce point de vue. Dans le tableau de Courbet, « L’origine du monde », rien ne se dresse de la forêt de poils du pubis de la femme. Sauf à l’imaginer. Contre Simone de Beauvoir, il faudra bien admettre que la vie de l’esprit a un sexe, un sexe masculin.

5 – « De la femme philosophe à la femme philosophie » 3 Bernard Guéry, dans cet article, laisse entrevoir une place pour une philosophie qui serait de sexe féminin. Selon lui, en partant de la corporéité sexuelle, on peut décrypter l’activité intellectuelle à partir de deux couples de polarités. a) du point de vue de la place des organes génitaux dans le corps humain et b) du point de vue de la relation à la fécondité. J’y ajoute mon grain de sel. Du point de vue de la place des organes génitaux dans le corps humain (et de leur visibilité, selon moi), du point de vue de leur position, on a une paire intériorité/extériorité et deux conceptions de la philosophie. Les organes féminins étant intracorporels, la philosophie se caractérise par une centration sur la vie intérieure. Une philosophie de l’introspection, sans au-delà de la pensée. Quant aux organes masculins, ils sont extracorporels. Du pôle de l’intériorité féminin, on passe au pôle de l’extériorité masculin. La philosophie qui l’accompagne est celle de l’extériorisation, de l’ouverture au monde et à son dépassement par l’abstraction. Du point de vue de la fécondation, on pose une nouvelle paire sous le rapport immanence/transitivité. Sous l’axe de la connaissance, l’immanence est du côté de la femelle qui féconde en elle. Concevoir, c’est faire un enfant et c’est former des concepts, des concepts immanents. Ce qui nous porte vers cette nouveauté d’une immanence/transcendante telle qu’exposée notamment par Luc ferry dans l’Homme-Dieu. L’immanence de l’homme indique qu’il a son principe en lui-même sans avoir à recourir à un principe extérieur, transcendant comme Dieu par exemple. L’oxymore immanence/transcendance indique que, dans l’homme, il y a de l’universel, donc du transcendant qui dépasse l’homme singulier. À ce compte il peut prendre une majuscule comme Dieu. C’est ce qui arrive à la femme en concevant aux deux sens du terme. Dans la « conception » sont conçus un enfant et un concept. Immaculé. La femme accueille la semence en soi, réceptionne l’objet, elle est du côté de la contemplation, de la passivité. Toujours sous l’angle de la connaissance, la transitivité est du côté du mâle. Le mâle féconde en dehors de lui. Il jette sa semence en dehors de lui. Il se répand et répand, se disperse. C’est le manspreading, l’homme qui se répand sur un siège d’autobus. Se rendre comme maître et possesseur de la nature est le maître-mot de Descartes et de l’humanité des hommes occidentaux au départ. Pour ce faire il fabrique des concepts (Deleuze) plutôt que de les concevoir au sens féminin. Quelle type de concepts concevrait alors cette "nature féminine" produite à nouveau frais par Bernard Guéry ? Le care, le soin, l'attention aux autres génétiquement corporels ? Ou bien la notion de douceur développée par Anne Dufourmantelle en tendresse, joie, bonté, don (in "Puissance de la douceur"). Au risque de la ringardise et d'un antiféminisme, l'idée d'une nature féminine réhabilitée obligerait, ne serait-ce que comme exercice de pensée, à forcer des notions masculines, fauteuses de troubles. Le philosophe Heidegger, mâle, apporterait sa pierre avec la notion de souci. Après l’axe de la connaissance, l’auteur propose un second axe tout en maintenant la dyade immanence/transitivité : l’axe de l’éthique. L’éthique est immanente chez la femme. Comme la vertu chez Aristote, elle est en elle, à charge pour elle de la faire grandir. La femme est déontologiste : les règles et les devoirs précédent l’action. Quant à l’homme transitif, il répand la vertu en dehors de lui. C’est par ses actes qu’il la construit. Il est conséquentialiste, la conséquence étant en dehors de l’action, elle en découle. C’est par ses actes qu’il produit des valeurs positives ou négatives, mais il ne s’en aperçoit qu’après. C’est du Sartre tout craché : l’existence précède l’essence. En reprenant Hannah Arendt, on peut déduire de la thèse de Bernard Guéry que l’homme est du côté de la vita activa, la femme de celui de la vita contemplativa. Je compléterai par l’idée que l’abstraction, l’érection en dehors du monde est un détachement et nécessairement une méta-physique. Alors que la matrice désigne le milieu où quelque chose prend forme, se développe. Elle est la source, l’origine, le fondement. La structure de toutes choses : « L’origine du monde ».

Didier Martz, Philosophe 1er avril 2025

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1ère partie : Texte de la conférence du vendredi 25 avril 2025 prononcée à la médiathèque Falala de Reims par Jean-Pierre Hamel, philosophe dans le cadre du rendez-vous mensuels LES VENDREDIS DE LA PHILOSOPHIE 2de partie : Texte de Didier Martz (à venir)

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Peut-on perdre sa dignité ? II

Oui, bien sûr. Presque tous les jours, nous ne sommes pas dignes de ce que nous faisons, ô, frères humains. Chaque jour, nous acceptons, nous consentons. Nous consentons à ce que des hommes, des femmes et leurs enfants vivent dans la pauvreté, sans accès aux soins, à l’éducation et au logement. Nous acceptons le racisme, l’antisémitisme, la discrimination des noirs, des Arabes, des musulmans quand ce n’est pas pire. Nous consentons à la mort de dizaines de Palestiniens civils, nous consentons, nous consentons… Et celui-là qui est sur le trottoir que j’abandonne à son sort. Nous ne perdons peut-être pas notre dignité, mais c’est surtout d’indignation dont nous manquons.

Conférence de DIDIER MARTZ, philosophe du 28 mars dans le cadre des VENDREDIS de la PHILOSOPHIE

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