1 – Chronique urbaine de Reims et d'ailleurs : à la recherche d'une identité urbaine

Ceci est le premier numéro d'une série de chroniques urbaines concernant Reims, ma ville de résidence, et, comme par écho, d'autres villes de France. En écho, car l'originalité est rare dans le domaine de l'urbain comme dans beaucoup d'autres et ce qui se fait, se pratique et se pense dans l'une des villes se retrouve dans l'autre.

On pourrait espérer au moins un assemblage original d'éléments existant par ailleurs, mais là encore l'imagination est en reste : mêmes marchés de Noël, mêmes illuminations, mêmes mobiliers urbains, mêmes entrées de ville, etc. Cependant, on revendiquera un patrimoine qui lui est original. Une cathédrale, du champagne pour ce qui est de Reims, mais sa singularité est très vite masquée par sa transformation en marchandise touristique à acheter et à photographier. Ainsi uniformisées, toutes les cathédrales de France ne finissent pas de se ressembler. Le tout et toujours sous le même objectif : avoir une image, être attractive. Faire venir des touristes, des entreprises, être au cœur de l'Europe comme le revendiquent des dizaines de villes. Alors, pour une ville, Reims ou une autre, il n'est pas facile d'avoir une identité lorsque la diversité se lisse et s'uniformise. Dans une sorte de prosopopée, la ville cherchera dans ses papiers sa carte d'identité. À la manière d'une fiche Wikipédia, elle fera l'énumération de ce qui la caractérise : la géographie, la toponymie, l'histoire, l'urbanisme, la démographie, l'économie, la culture locale et culturelle, la politique... « C'est bon, vous pouvez circuler, il n'y a rien à voir » dira l'agent. Curieusement, « rien à voir », car il manque quelque chose, un « je-ne-sais-quoi » dirait le philosophe Jankélévitch, ce qui manque lorsque tout a été dit. L'énumération même exhaustive d'éléments ne crée pas une âme. Il se disait de Reims qu'elle était une ville d'histoire sans histoires. Les histoires rendent compte de ce qui est arrivé, d'événements, or il n'arrive rien. Faute d'évènements, on fait de l'événementiel, on tente de se créer une image qui ressemble beaucoup à d'autres images. La ville se donne une image comme un immeuble garde son image en ne gardant que son ancienne façade. Une sorte de Potemkinisme. Du nom du Prince Potemkine, amant de Catherine II, tsarine de Russie, qui reste dans la légende pour la mise en place de façades prospères devant des chaumières misérables pour ne pas abîmer les yeux de la tsarine. Je lis dans la Revue Reflets actuels de décembre que pour la réalisation du campus NEOMA sur le port Colbert, il a été fait appel à plusieurs équipes d'architectes et de bureaux d'études. Des équipes multiculturelles, précise-t-on, provenant de plusieurs pays et secteurs d’activités. Évidemment, aujourd'hui, tout projet doit être multiculturel, mais en limitant le « multi » à quelques « cultures » seulement et en omettant la culture locale ! Compte tenu de leurs réalisations d'envergure de par le monde, trois équipes ont été retenues venant de Copenhague, Amsterdam et de Norvège. Des équipes connues et renommées, de quoi donner une belle image de Reims. C'est d'ailleurs le cas pour la plupart des projets et des réalisations de la ville de Reims qu'il s'agisse du musée des beaux-arts, de la piscine, de la salle dite événementielle sans événement ou encore l'école de design. Donner une belle image. Ainsi, pense-t-on, par ce moyen, donner une identité consistante à la ville dont nous pourrions être fiers. Mais de quelle identité s'agit-il ? C'est un peu comme si, psychologiquement, je prendrais conscience de moi-même parce que j'aurais dans mes fréquentations quelques personnalités connues et dont je pourrais me réclamer ? « Tu sais, je connais tel architecte renommé » - « Oui, et alors ? ». Ce serait, on en conviendra, une identité bien fragile et à laquelle on attachera peu d'importance, une fois le coup d'esbroufe passé. Dans une société principalement fondée sur l'image et les images et par conséquent sur les apparences, la perte de soi est toujours imminente. Dans une société de l'éphémère, du jetable et de la consommation où domine l'impermanence, il convient de créer un monde durable. Se référant notamment à la production de bâtiments, d'institutions ou d’œuvres d'art, Hannah Arendt pose que l’œuvre participe à la fabrication d'un « monde commun » s'inscrivant dans une certaine durée et stabilité. Sur des questions écologiques, sociales, Reims pourrait alors devenir une ville exemplaire. Il faudrait alors créer les conditions de cette fabrication en rassemblant tous les ingrédients nécessaires et pas seulement ceux qui donnent une bonne image, toujours furtive et instable, peu durable. Peut-être qu'alors l'assemblage, comme on dirait pour le champagne, serait original et permanent. On pourrait alors en tirer quelque fierté.

Didier Martz Philosophe, auteur, musicien Membre du Think Tank Droit de cité PS Les propos tenus ici n'engagent que leur auteur.

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