13 Chronique du COVID : Reviendra, reviendra pas ?

Où l'on s'inquiète du retour de l'épidémie. Peut-être qu'avec un os de mouton... ?

C'est la grande question du jour. Doit-on ou non s'attendre à une nouvelle vague de la COVID cet automne ? La période estivale n'étant qu'une trêve et un peu de répit dans la propagation du virus. Interrogés, les scientifiques se perdent en conjectures et ne définissent au mieux que quelques scénarios probables dans le genre peut-être que oui, peut-être que non ou un peu des deux. C'est que la science n'est pas prédictive. Elle travaille sur ce qui est avec une relative assurance mais beaucoup moins sur ce qui sera. Au fur et à mesure que l'échéance s'éloigne, les prévisions deviennent fragiles et incertaines. Demain est certain ou presque, après-demain beaucoup moins. Cependant dans ce domaine de la prévision et de l'anticipation, on remarque que progressivement nous grignotons le futur. Ainsi Météo France peut désormais prévoir avec certitude le temps qu'il fera dans 7 jours et nous, prévoir un barbecue ou non pour le dimanche qui suit.

Inquiets par nature quant à ce qui est à venir, nous nous réjouissons d'enfin savoir ce qui nous attend. Mais ne nous enthousiasmons pas trop vite car quels effets auraient sur notre condition d'hommes et de femmes mortels de connaître toutes choses à l'avance ? Notamment à court et moyen terme ? Quelles seraient les conséquences d'un trop grand empiètement du présent dans le futur et ainsi l'abolir ? Le présent du futur ou le futur au présent dans une impossible conjugaison. Au-delà de la fantaisie d'un tel scenario, je vois au moins une conséquence  : en prévoyant tout il n'y aurait plus d'évènement, plus rien n'arriverait et par conséquent plus de surprise, plus d'inattendu. Plus d'histoire. Il n'arrivera plus rien donc rien à raconter aux enfants. Bon, on objectera que même Oedipe connaissant son destin finira son histoire par une belle surprise... tragique !

Nous n'en sommes pas encore-là et la science est - encore – impuissante à prédire ou prévoir l'avenir. La prédiction, comme la prévision, est faite elle aussi pour lire l'avenir mais dans les cartes, les boules de cristal, le plomb fondu, les étoiles... pas dans les graphiques ni les statistiques. Elle aussi tente de réduire le futur.

Années 70/80, Place Jamâa El Fna à Marrakech. Il a une soixantaine d'années, un turban sur la tête, des cheveux longs lui tombent sur la djellaba. Une sorte de cartable argenté attaché par une ficelle autour du cou pend sous sa djellaba. Comme c'est le cas sur la Place... (on dit La Place avec une majuscule surtout depuis qu'elle est inscrite au Patrimoine mondial de l'UNESCO grâce à l'action de Juan Goytisolo) … des cercles se forment autour des conteurs, des danseurs et en particulier autour de ce Monsieur. Ni étoiles, ni cartes, ni boules de cristal ou lignes de la main mais l'os d'une épaule de mouton. Les gens lui donnent un ou plusieurs dirhams et le cérémonial commence. Les yeux s'écarquillent, les visages mal éclairés se tendent, l'atmosphère s'alourdit. La personne consultante, prudente – son avenir se joue-là - met l'os sous le pied et le garde quelques secondes ou une minute puis le rend au voyant. Celui-ci fixe les yeux sur l'os translucide et raconte. Il raconte alors les voyages à venir, les relations futures, les chances à venir ou non... L'assistance le prend très au sérieux. Un jour, un guide et son client touriste s'arrêtent devant le cercle formé autour du voyant. Le touriste, curieux, ne comprenant pas l'arabe, demande à son guide de quoi il s'agit. Le guide, fier de son pays, de sa Place, de ses traditions lui fait part avec enthousiasme du pouvoir mystérieux du devin. Un être capable de prédire l'avenir. Le touriste, originaire du pays de Descartes, bon rationaliste avec une petite touche d'ironie sur les lèvres propre à la condescendance touristique demande au guide d'intervenir pour lui permettre de poser une question à l'aruspice... (pas vraiment car qu'il ne s'agit pas là de foie de volaille mais d'os de mouton)... dans l'optique de le mettre à l'épreuve et en défaut. Et puisqu'il se pique de deviner l'avenir, il peut aussi bien deviner le passé. Après avoir donné son obole, notre cartésien place l'os sous le pied, le tend au devin et demande au guide de traduire en arabe sa question : « qui a assassiné en 1963 le président américain John Fitzgerald Kennedy ? » Une question hors norme pour le voyant. Il sent bien le piège et son crédit, sa notoriété sont en jeu. Le silence est lourd, la Place éteinte, les spectateurs en suspension. Les secondes passent comme des minutes. Allait-il être bloqué devant un étranger ? On retient sa respiration. Alors le voyant, serein, un brin de malice dans les yeux, au bout de quelques instants bien pesés brandit l'os et demande au guide de traduire : « je ne puis honorer votre demande, cher Monsieur, l'os n'a malheureusement qu'une portée nationale et ses performances ne sont fiables qu'à l'intérieur du Maroc. On ne peut se prononcer au-delà de ses frontières ! » Le touriste, la tête baissée, comme le corbeau de la fable jura, mais un peu tard, que l'on ne l'y reprendrait plus. La morale de cette histoire est que des prédictions ou prévisions au-delà d'un certain espace et d'un certain temps n'ont pas de sens. Tout alors reste possible y compris d'être encore surpris cet automne. Ainsi peut aller le monde.

Didier Martz, 26 Juin 2020 Philosophe essayeur d'idées Ainsi va le monde 406 Chroniques philosophiques de la vie ordinaire Chez : cafedephilosophie@orange.fr

https://youtu.be/IzfaFnMTmfQ

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