Ainsi va le monde n° 384 - Ça se passe à Reims et ailleurs

Où il est question de femmes d'hommes et d'enfants... et parfois d'animaux

« Ils étaient des milliers, ils étaient vingt et cent » chantait Jean Ferrat dans sa chanson Nuit et Brouillard de 1963. Il chantait les déportés vers les camps de la mort. A Reims et ailleurs, ils s'appellent des migrants pourtant il s'agit bien de déportés, déportés de leur pays. Certes, les camps ne sont pas des camps de la mort bien qu'on y meure parfois. De froid, de maladie, d'inanition ou simplement de désespoir. Parce qu'il n'y a plus rien à espérer que de se déplacer de camp de fortune en camp de fortune, dans la boue, l'humidité, la moisissure. A Reims, ils sont aujourd'hui une trentaine demain peut-être plus, hier peut-être moins. Trente ne veut rien dire. Le nombre à une valeur nulle car derrière ce sont des enfants, des jeunes enfants, des femmes, mères de famille dont le mari a disparu, des hommes aussi. Trente, c'est un nombre, une abstraction de la personne réelle, son effacement.

On me dit « ils n'avaient qu'a rester chez eux », on me dit « qu'on ne peut pas porter toute la misère du monde » ; on me dit encore « qu'ils sont sales, qu « ils manquent d'hygiène « ; on me dit « qu'ils provoquent des nuisances (comme un moteur de mobylette, non c'est moi qui ajoute!!!!) » ; on me dit aussi – ce sont les autorités universitaires qui le disent - « qu'ils représentent une menace pour la sécurité des étudiants » (alors je regarde ce bambin de trois ans, tout noir de peau, aux yeux avides de connaître le monde et les gens et j'y vois déjà, en effet, comme Sarkozy le voyait dans les enfants de cet âge, les germes d'une délinquance future!!!) et, last but not least, on pense « qu'il y a sûrement parmi eux des terroristes ».

Bien. Admettons que toutes ces opinions soient fondées et justifiées. Alors prenons un crayon et répondons par oui ou par non à ces questions : 1) Sont-ce des hommes, des femmes et des enfants ou plus simplement des Hommes, terme générique ? 2) Est-ce que la couleur de leur peau, leur origine étrangère leur retirent leur qualité d'homme ? 3) Est-ce qu'être un homme c'est, comme le proclame la déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, vivre dans des conditions dignes notamment s'alimenter, se soigner, se loger , s'instruire?

Si l'on a répondu « non » à ces questions, il convient de retourner à son chien ou son chat voire son poisson rouge et de leur appliquer les droits des animaux à être nourri, soigné, logé et éduqué. Ce sont après tout « des hommes comme les autres » pour paraphraser Woody Allen. On évitera de donner trop de Royal Canin à son chien pour éviter le surpoids. Dans tous les cas on évite d'en donner au poisson rouge !

Par contre si l'on a répondu oui, alors on laisse les commentaires, les discours politiques, la sécurité, la responsabilité, la misère du monde, la menace et on s'occupe d'abord et avant tout de les accueillir comme des hommes et des femmes dignes de porter ce nom. Ici d'abord à Reims, pour ces trente-là, aujourd'hui. Demain pour les autres ailleurs. Après on verra ce qu'on fait avec eux mais d'abord on prend soin d'eux, vous savez le fameux care dont on nous rebat les oreilles.

Ah oui, j'oubliais l'argument imparable, dirimant : l'appel d'air ! Il consiste à dire que si vous accueillez chaudement des gens ici, il en viendra ensuite des hordes, les Barbares à côté ne seraient rien. Jolie métaphore « l'appel d'air ». Vous ouvrez ou entrebâillez une porte et voilà le feu qui envahit la pièce. Mais l'appel d'air c'est aussi donner une bouffée d'air frais, du souffle qui améliore une situation difficile, une société poussive, repliée sur elle-même qui recommande à chacun la mobilité, d'aller à l'étranger mais qui ne veut pas de la mobilité des autres, d'étrangers chez elle !

Dans une conversation que Raymond Aron a eu en 1945 avec Sartre, il s'étonne que l'on n'est pas souhaité – les intellectuels en particulier - la bienvenue aux Juifs déportés de retour en France. Sans doute pour masquer le manque de courage de ceux qui en avaient le pouvoir. Ainsi va le monde... mal... si ça continue comme ça.

Didier Martz, philosophe. mercredi 20 Septembre 2017 La chronique Ainsi va le monde sur RCF Champagne Ardenne, Radio Primitive, Radio Mau Nau...

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