31 - A l'insu de mon plein gré.

La politique gouvernementale semble susciter peu de réactions. Apathie ? Soumission ? Servitude volontaire ? La réponse est peut-être du côté du coureur cycliste Richard Virenque : les choses se dérouleraient à l'insu de notre plein gré...

D'après le site wikipédia, Richard Virenque est un coureur cycliste français. Il a été particulièrement actif dans le cyclisme de 1991 à 2004. Il est connu pour ses qualités de spécialiste de la montagne mais aussi pour son implication dans un scandale de dopage qui éclate en 1998. C'est l'affaire Festina du nom de son équipe dont tous les membres sont impliqués. Il est aussi fameusement connu pour une déclaration qu'il aurait faite selon laquelle il se serait en effet bien dopé mais pas intentionnellement. Les Guignols de l'info caricatureront sa défense en lui faisant dire qu'il s'était dopé « à l'insu de son plein gré ». Bien sûr, bans et arrière bans se gaussèrent de l'expression et en même temps du coureur lui-même. On vit revenir l'opinion selon laquelle, décidément, les coureurs et nombre de sportifs en général, ont bien des jambes mais pas beaucoup de tête. En effet, pris au premier degré l'expression « à l'insu de mon plein gré » n' a pas de sens. Elle assemble dans une même phrase deux mots dont la signification est contradictoire. « A l'insu de » signifie que je peux avoir pris une décision sans que personne ne le sache. Du latin sapere, savoir, est insu ce qui ne se sait pas. Et le gré, dans de « mon plein gré », signifie acceptation et consentement. Si j'exécute ce que l'on me demande de faire de mon plein gré, c'est que je le veux vraiment et sans mau-gréer. Si l'on considère que vouloir est un acte libre alors il ne peut s'effectuer qu'en pleine conscience et non pas à l' insu. Donc, « à l'insu de mon plein gré » est une maladresse dans la formulation ou au mieux une plaisanterie. J’essaierai quant à moi une autre interprétation et verrai dans le propos de Richard Virenque une proposition philosophique de haute intensité. Dans cet oxymore, comme dans la joie triste, le clair-obscur ou la délicieuse horreur d'Edmund Burke , se niche un problème dont la philosophie et la pensée occidentale en général débat depuis 2000 ans. Dans ce match, à ma droite vous avez le libre-arbitre. Il dit que quelles que soient les contraintes, on peut toujours tirer son épingle du jeu et faire valoir sa liberté aussi restreinte soit-elle. Même lever le petit doigt ou ne pas le lever. A ma gauche, les tenants du déterminisme qui soutient que nous sommes toujours déterminés par une chose ou une autre donc ne sommes jamais libres. Comme dans un combat, ces positions sont assez radicales mais on trouvera toujours quelqu'un au milieu pour trouver un moyen terme genre Sartre. Encore lui ! Il avancera que certes nous sommes conditionnés par un tas de choses, milieu social, culture, éducation... mais qu'on peut toujours en faire ce qu'on veut. Un autre arrivera, genre Spinoza, pour dire que nous sommes toujours déterminés et qu'en fait de liberté, il s'agit surtout de passer d'une détermination à une autre. Ainsi de ce jeune garçon qui claque la porte au nez de ses parents pour aller s'engager dans l'armée. Il pense avoir pris librement sa décision, de son plein gré, alors qu'il n'a fait que passer d'un état à un autre chacun avec ses propres contraintes, ses propres règles. Ce serait ici l'insu. Dans cet esprit, celui de Spinoza, s'émanciper ce n'est pas trouver un espace de liberté vierge de toutes déterminations. C'est s'illusionner sur l'idée d'une volonté qui ignore ce qui l'a poussée à choisir ceci ou cela. Et à décider librement. L'avantage de cette illusion est de nous rendre joyeux lorsque nous l'avons décidé. Ainsi de ce jeune garçon qui passe de chez ses parents à l'armée. Il est content de faire ce qu'il fait. Et être joyeux selon le même Spinoza c'est augmenter son être, sa puissance d'action. Même si c'est pour se fourvoyer ! La leçon de philosophie de Richard Virenque est que lorsque nous croyons agir librement nous le faisons à notre insu, sans savoir exactement ce que nous faisons. Et ainsi je me dope de mon plein gré mais sans le savoir. On dira qu'on le savait depuis Freud et le lapsus par exemple. Sauf que dans cette phrase subsiste quelque chose d'un mystère. Une perspective insolite ouverte par son absurdité. A méditer lorsque que l'on pense avoir décidé ou accepté volontairement et librement. Ainsi va le monde !

https://youtu.be/fZK4NXFJUmw

Didier Martz, le 28 mars 2021 www.cyberphilo.org Ainsi va le monde : Une série de 406 chroniques philosophiques de la vie ordinaire.

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