18 - Être exemplaire

Où la morale pourrait bien avoir à voir avec la beauté

Le Président de la République est malade, contaminé par le virus. On lui reproche certes de ne pas avoir fait les gestes-barrières, mais on lui trouve à cette occasion un peu d’humanité souvent trop cachée derrière le statut et la fonction de Président. Ainsi, on juge qu'il est un peu comme chacun, oublieux des règles, distrait, bref, que c’est un être humain. Mais d’un autre côté, on estime justement qu’il ne devrait pas être comme tout le monde et que justement son statut de Président l’oblige à être exemplaire. Surtout qu’il insiste régulièrement, lui et ses collaborateurs, pour que nous respections les dits gestes et qu’il y va de notre responsabilité si nous ne les respectons pas. De là, sommes-nous tentés par l'expression « faites ce que je dis, pas ce que je fais » qui montre bien que les actes sont les seuls et vrais témoins de ce que nous sommes et permettent de prétendre à l'exemplarité. Le Président devrait être exemplaire mais qu'est-ce qu'être exemplaire ? qu'est-ce que montrer l'exemple ? Sans doute, avons-nous eu à entendre dans notre prime jeunesse, ou plus tard, une remarque comme : « tu devrais faire comme untel ou unetelle », ou « prends donc exemple sur lui ou elle ». Remarque qui avait pour vertu de me ramener à ce que j'étais comparé à ce que je devrais être. On perçoit de suite quel jugement de valeur négatif est contenu dans la comparaison. Il indique bien que l'individu dont il est question ici est un modèle à imiter. Sa personnalité, sa conduite, ses actes deviennent des références quant à la façon dont je devrais conduire ma vie. Il est exemplaire. Mais que peut bien contenir un acte pour qu'il devienne un modèle de référence ? Un modèle commun à la plupart des mortels. Il faut que ce modèle contienne quelque chose auquel je puisse m’identifier, quelque chose qui me dépasse et m’emporte vers d’autres contrées que celles de ma propre et simple existence. Nous voilà donc en présence d’un cas particulier qui aurait la possibilité de renvoyer à quelque chose de plus général. Et ce n’est pas donné à toutes et tous. Un statut peut aider, mais ce n’est pas suffisant. La seule personne non plus. Ce sont des actes, des gestes dont la nature renvoie à quelque chose d’extraordinaire, en dehors de l’ordinaire. Ainsi cette personne philosophe de profession se jette à l’eau pour sauver un enfant. Elle a une conduite exemplaire. C’est que cet acte singulier contient en lui-même une valeur. En l'occurrence la valeur courage. Et cet acte force le respect. L’expression « forcer le respect » invite à nous arracher de ce que nous sommes pour nous transporter, admiratif, vers ce que nous voudrions ou devrions être. Par procuration. On parlera alors d’identification. On peut dire tout ce qu’on veut, tenir des propos grandioses sur la morale, la politesse et sur le respect des valeurs, mais force est de constater que dans la réalité, ils ne sont pas toujours très convaincants. Par contre, loin des discours, l’attitude exemplaire a une force qu'ils n’ont pas. Parce qu’elle est une incarnation. L’incarnation d’une valeur dans un geste. Ainsi, pour avérer la notion de courage, on rappellera la conduite d’Achille lors du siège de Troyes ; pour celle de bonté, nous penserons à Sœur Emmanuelle ; pour le dévouement, on pensera à l’Abbé Pierre ; et c’est Martin Luther King et Louise Michel qui symboliseront l’engagement. Mais sans aller si loin, on trouve autour de nous des personnes à montrer en exemple. C’est l’oncle Machin qui a fait de la Résistance ou la tante Machine, partie de rien pour arriver là où elle est aujourd’hui. Ces personnages exemplaires valent bien et sont plus efficaces qu’un livre de morale ou de philosophie. Enfant, c'est à des personnages comme Zorro ou à Robin des Bois que je m'identifie, spontanément. C'est que j'y éprouve confusément une sensation de justice et d'injustice sans pouvoir encore y mettre les mots. Mais pour être exemplaire, le personnage ne doit pas être trop proche, trop « comme tout le monde ». À l’inverse, il ne doit pas être non plus trop éloigné. L’identification ne peut fonctionner ni dans un cas ni dans l’autre. Un juste milieu difficile à trouver. D'une personnalité exemplaire, on attend qu'elle tienne son rôle en conformité avec les représentations que nous en avons. « Montrer l'exemple » est une leçon de morale mais elle perdrait beaucoup si on n'y joignait pas l'élégance, le style dirait l'écrivain Céline. La conjugaison des deux, de la morale et de l'esthétique, se réalise dans la prime enfance lorsqu'on dit d'un mauvais geste qu'il n'est pas beau. Aussi, si la parole doit se joindre aux actes, la beauté doit se joindre au geste, fut-il « barrière ». Ainsi va le monde !

https://youtu.be/bR0GJVL-hRI

Didier Martz, philosophe, essayiste, le 20 décembre 2020 « Ainsi va le monde » une collection de 406 chroniques Édition de l'auteur www.cyberphilo.org ou cafedephilosophie@orange.fr

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