8 Alex : une catastrophe dite naturelle

Une chronique inactuelle parce que Alex est déjà oublié, comme sont oubliées toutes les catastrophes et comme sera oublié l'assassinat de Samuel Paty. L' inactualité est intempestive car elle fait brèche dans le rythme que nous impose les médias au pouvoir. C'est la raison pour laquelle ils ne donneront pas l'occasion de revenir en arrière parce qu'en se concentrant sur un sujet un bon moment, on réfléchit.

Alex est le dernier-né de la série des catastrophes que connaît la France. Celle-ci a frappé la Bretagne et le Sud-Est provoquant des dégâts matériels importants, tuant des personnes et mettant des familles à la porte de chez elles. Selon le Robert historique de la langue française, catastrophe est empruntée au latin catastropha qui lui-même vient du grec kata-strophê, formé sur strophê « action de tourner, volte, évolution » avec l'élément kata- (qu'on retrouve dans cataclysme, catacombes) qui signifie « vers le bas ». Catastropha au IVe siècle devient « bouleversement, fin, dénouement » et, plus tardivement, au théâtre, « dénouement de l'intrigue ». Il s'étend ensuite aux évènements de la vie quotidienne. Supposant que la vie est nouée on dira de la mort, par exemple, qu'elle est un dénouement. Le dénouement souvent sanglant des tragédies classiques l'infléchit négativement en « événement fâcheux », « funeste et malheureux ». De là il devient parfaitement adapté pour désigner un accident causant de nombreuses victimes comme dans une catastrophe aérienne et s'inscrit dans le champ lexical du désastre, de l'effroyable. Par un de ces mystère de la langue, il est récupéré et même détourné de son sens comme dans l'interjection « catastrophe ! » pour signifier le renversement d'une bouteille d'encre sur une chemise ou dans la locution « en catastrophe » pour faire une dissertation de philosophie au dernier moment donc en la bâclant. Fatiguée, la langue familière comme elle le pratique souvent abrège le mot et le banalise en « cata » Une mauvaise note au même devoir de philosophie et « c'est la cata ». Tout devenant catastrophique plus rien ne l'est. On s'est interrogé sur les causes de cette nouvelle catastrophe nommée Alex. La rencontre de masses d'air chaudes et froides provoquant vent et pluies abondantes, le tout dans le cadre d'un réchauffement climatique généralisé qui accentue le phénomène et le rend plus fréquent. Le Premier ministre a annoncé le déclenchement de la procédure dite de « catastrophe naturelle ». Commettant ainsi un contresens car si elle est naturelle ce n'est que par ses causes et ne devient catastrophique que parce que ses effets touchent des hommes et des femmes. De la même manière la pandémie n'est naturelle que par ses causes, elle est catastrophique parce que sociale ou socialisée. En effet, il n'y a de catastrophe qu'à la condition que des humains soient concernés, directement touchés dans leur corps ou indirectement par la destruction de leurs biens. Elle est d'autant plus « funeste et malheureuse » qu'il y a d'humains touchés. Un typhon qui souffle sur une mer désertique n'est pas une catastrophe, juste un phénomène naturel. Les « vraies » catastrophes ont toujours lieu là où il y a une forte concentration d'hommes, de femmes et d'enfants avec maisons, jardins, voitures, jouets, frigos et télévisions propices aux images télévisuelles. Elles ont lieu là où l'on a, comme on dit « aménager l'espace », c'est-à-dire contraint la nature, contenu les rivières, délivré les permis de construire... Elles s'abattent de préférence sur les pauvres ou moyennes gens qui ont une propension fâcheuse à se regrouper dans des zones exposées et à se loger dans des habitations vulnérables. Ou dans des zones menacées. Ainsi, un phénomène qui aurait pu rester naturel et insignifiant même spectaculaire devient une catastrophe sociale. Une catastrophe est toujours sociale. Aussi, même le vent, le réchauffement, la pluie ne sont pas des causes valables, efficientes dirait Aristote, de la catastrophe. Sinon elle ne serait que naturelle et par conséquent un simple phénomène. Et on a vraisemblablement intérêt à ce qu'elle reste naturelle. En effet, utilisant Hannah Arendt contre son gré, on peut avancer que personne ne se met en fureur devant un tremblement de terre. C'est seulement au cas où l'on a de bonnes raisons de croire qu'il y a des raisons humaines à cette catastrophe et qu'on pourrait y changer quelque chose que la fureur éclate. Ainsi va le monde !

12 Octobre 2020 - Didier Martz, philosophe, auteur, essayeur d'idées Vieillir comme le bon vine (à paraître) « Ainsi va le monde », un recueil de 406 chroniques de 2008 à 2018 chez l'auteur La tyrannie du Bienvieillir, Dépendance quand tu nous tiens, La lumière noire du suicide, Dictionnaire impertinent de la vieillesse... chez ERES

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