9 - Chronique du CoronaVirus : Le monde d'après

Où comment une plante nommée saxifrage peut nous éclairer sur le monde à venir...

Il est beaucoup question du monde d'après, du monde d'après la  « crise » épidémique. Certains y voient beaucoup de potentialités pour un autre monde, d'autres au contraire pensent que tout sera comme avant sauf dans quelques marges. Le poids des habitudes ou encore ce qu'on appelle un peu facilement le « système » ou encore la « société » sont des obstacles et des résistances à toutes formes de changement. Pour donner un peu d'espoir à ceux qui aimerait quitter un monde « anormal » pour un monde normal, prenons l'exemple de la ou le saxifrage.

N'avez-vous jamais été surpris et étonné par cette plante qui pousse au milieu d'une paroi de béton défiant toutes les lois de la botanique ? De cette autre qui grandit, moqueuse, au beau milieu de l'autoroute ? Ou encore jouant des coudes pour se frayer un chemin entre deux pavés. Réjoui, on se dira que la nature reprend ses droits... une bien maigre consolation écologique et... maussade, on l'arrachera violemment comme agent provocateur de la modernité bétonnée.

J'ai appris que cette plante s'appelait une ou un saxifrage, passe-pierre ou perce-pierre, le mot étant formé sur le latin saxifraga, composé de saxum, le rocher et de frangere, briser. Elle est le désespoir des ravaleurs de façades qui voient apparaître au beau milieu d'un crépi crème tout neuf, une jolie herbacée verte et rieuse. Mais surtout, elle pousse la pierre, cherche les failles. Têtue, elle résiste aux intempéries et profite du vent pour disséminer un peu partout. Un botaniste allemand utilisait le terme « rupicole » pour qualifier ces plantes établies sur la roche nue en ajoutant qu'elles étaient... pionnières. Je souligne.

Ce que nous dit la saxifrage est que, même dans les contraintes bétonnées les plus dures et inébranlables, il y a toujours une brèche et un commencement possible. Une irruption. C'est vrai pour la plante, c'est vrai pour l'homme. Mais ce n'est pas facile. Un grand combat est livré quotidiennement contre la fraîcheur téméraire. Il commence tôt dans la journée. Nombreux, ils arrivent avec des camions, camionnettes et autres gyrophares. En combinaisons, casqués et armés. L'ennemi a plusieurs faces : l'hiver la neige; l'été, toujours plus foisonnant, les haies, les mauvaises herbes, la poussière, la fleur séchée des tilleuls ; l'automne, soufflées par l'expirateur, les feuilles mortes qui ne se ramassent plus à la pelle. Les deux escargots de Jacques Prévert rateront l'enterrement. Pour les haies de tuyas, on ne veut voir qu'une seule tête ; on chasse les poussières insidieuses des caniveaux ; on balaye les rues. Oui, au XXIème siècle on balaye les rues, paillassons pour pneus de voiture... on en rêve sur les trottoirs de Manille ou de Bamako. Le pire sont les herbes mauvaises qui affrontent effrontées le béton et le macadam : la saxifrage désobligeante, contrevenante et débordante . Elle perce et casse les pierres, fait des brèches dans les systèmes établis. Elle peut pousser même sur des murs conservateurs, nus et lisses pour y imprimer une marque nouvelle.

S'inspirant de Saint Augustin, l'être humain nous dit Hannah Arendt est toujours un commencement. Il est capable de créer de l'inédit, de faire advenir de l'improbable y compris en politique dont on rappellera qu'elle est la conduite des affaires humaines pour leur bien. La même Hannah Arendt écrivait dans La crise de la culture que « les chances étaient fortes pour qu’aucune terre ne surgît jamais des événements cosmiques, qu’aucune vie ne se développât à partir des processus inorganiques et qu’aucun homme n’émergeât de la vie animale ». Et pourtant l'improbable s'est produit.. Sur le mur de béton lavé, épuré, la saxifrage n'en finit pas d'émerger et toujours repousse. Elle porte vers l'après.

Didier Martz, philosophe, essayeur d'idées - 30 Mai 2020 SUR www.cyberphilo.org – https://youtu.be/mgb4I-No_8U – Facebook Vient de paraître : Ainsi va le monde, Chroniques philosophiques de la vie ordinaire (chez l'auteur) cafedephilosophie@orange.fr

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