7 – Chronique du Corona : Exit l'Ethique ?

Ou Ethique je memarre

Dans un premier temps, sous le coup d'une forte émotion, j'ai pensé plutôt à un titre à la Coluche, du genre « Ethique, je me marre » mais bien séant, j'optais plutôt pour celui-ci : Exit l'Ethique en y ajoutant un point d'interrogation pour ne pas paraître trop affirmatif. Beaucoup de prudence ne nuit pas car s'attaquer à l'Ethique aujourd'hui est un blasphème. Pour la clarté de cette chronique, j'indique que je ne fais pas de différence ici entre éthique et morale. Notamment parce que l'Ethique a pris aujourd'hui l'allure de commandements moraux plutôt que de principes généraux. Je ne m'étends pas.

A son sujet, j'avais déjà des doutes depuis quelque temps. Car lorsqu'à longueur de discours on nous sert de l'éthique et ce qui va avec de la bientraitance, du care, du bien ceci et du bien cela, on commence à se poser la question de savoir « pourquoi tout cela ? ». Pourquoi cette inflation, pourquoi cette valse des éthiques aurait dit Etchegoyen le sociologue ?

J'y vois une première raison. Elle part d'une disposition – que Rousseau dirait naturelle – à refuser la souffrance d'autrui. Et lorsque celui-ci est menacé, nous multiplions les actions et les discours pour le protéger. Ainsi des vieux, des handicapés, des pauvres, des clochards, des migrants, des malades, etc. Rendus plus vulnérables par une société extrémiste, nous les protégeons, nous les aidons, les soignons... animés par ce que Georges Orwell appelait une common decency, une décence commune. Oui, il y a aujourd'hui des situations indécentes. Alors, la première fonction du discours éthique est une parole et un « geste barrière ». Il est celui de ceux qui sont au plus près de ces personnes et c'est ICI que les questions éthiques se posent lorsque des choix douloureux parfois terribles sont à faire.

La deuxième raison découle de la première. Une société qui n'est pas en capacité de s'occuper des plus faibles et qui les rend encore plus vulnérables va développer un discours qui tend à masquer son incurie et son impéritie. C'est la deuxième fonction du discours éthique, masquer les manquements et les défauts. Il est tenu, souvent de bonne foi, LÁ où on est éloigné du lieu où se manifeste dans les corps la réalité des souffrances physiques et sociales. L'Ethique joue donc à deux niveaux que je distingue par ICI et LÁ soit pour marquer la proximité, soit pour signifier l'éloignement.

ICI, elle est en actes, elle se vit sans se dire, dans le ventre ; LÁ, elle est en déclarations, elle ne se vit pas mais se dit, dans les têtes. ICI, elle prend la forme du cas de conscience. Faute de ne pas avoir eu les moyens pour tous les faire vivre qui vais-je choisir ? ICI, pas de commandement moral qui dirait « tu dois ». Il reste à la porte des situations, abandonne devant l'épreuve cruciale. L'éthique est alors comme un moment où l'on doit choisir en étant dans l'impossibilité de choisir. ICI, on ne rigole pas avec l'éthique !

Au contraire d'ICI, donc LÁ, en temps de crise, on ne s'embarrasse plus du discours éthique qu'on tenait en temps de paix, dans les conférences, les médias et les salons. Chassez le naturel, il revient par les réseaux. Ainsi ce propos tenu sur RMC sans ménagement par un manager : « 50.000 morts en France, c’est pas énorme. Et quand on sait que c’est des gens âgés… 8.000 morts dans les Ehpad, c’est des gens qui allaient mourir de toute façon ». Mais le plus spectaculaire, voire obscène, est le propos de Martin Hirsch, directeur de l'AP-HP (traduire Assistance Publique – Hôpitaux de paris) tenu sur une radio de service public et rapporté par Frédéric Lordon. Je cite : « « Lorsque les réanimateurs jugeront que la réanimation n’a pour effet de prolonger que de huit jours, ils feront le rationnel (je souligne) de ne pas se lancer dans une réanimation dont la conclusion est déjà connue ». Martin Hirsch, très féru d'éthique, est un récidiviste car il avait déclaré, il y a quelque temps déjà et à la manière du Lilly de Pierre Perret, non pas qu'une blanche vaut deux noires mais qu'un bulletin de vote de jeune pourrait valoir deux bulletins de vote de vieux. Vieux dont le fameux « reste à vivre » des démographes est si faible qu'il ne peut les autoriser à se prononcer sur... l'avenir des jeunes. C'est en effet « rationnel » et logique. Pas éthique mais réaliste. LÁ, pour le coup, « Ethique, je me marre !». Ainsi va le monde !

Didier Martz, philosophe, essayeur d'idées. Chroniques philosophiques de la vie ordinaire 400 pages cyberphilo.org – 13 mai 2020

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