483 – A l'article de la mort

Marche funèbre ou marché funèbre?

Je ne sais pas vous mais moi la mort m'angoisse. J'ai beau lire et relire la Lettre à Ménécée d' Épicure je n'arrive pas à m'y faire. Epicure écrit pourtant : «Maintenant habitue-toi à la pensée que la mort n’est rien pour nous, puisqu’il n’y a de bien et de mal que dans la sensation et que la mort est absence de sensation. Ainsi le mal qui nous effraie le plus, la mort, n’est rien pour nous, puisque lorsque nous existons la mort n’est pas là et lorsque la mort est là, nous n’existons pas.

Bien, mais cela ne résout pas mon problème. Le coeur ou l'estomac ont toujours leurs raisons que la raison ne connaît pas disait le penseur Pascal! Par contre, notre modernité marchande offre beaucoup plus de possibilités en ce qui concerne la banalisation de la mort et la neutralisation de ses effets délétères sur notre santé mentale.

Une de mes amies sentant sans doute ma mort prochaine me gratifia d'un prospectus sur lequel on indiquait que du 11 janvier au 14 février 2019, on faisait des réductions allant de 30 à 50 % sur les monuments et les articles funéraires signalés d'une étiquette bleue ou rouge. A part, la mise en avant d'une réduction substantielle, le prospectus était sobre. Pas de slogan du genre : « la mort approche, songez à votre avenir », « ne vous laissez pas prendre au dépourvu... » ; ni de jolie femme posée alanguie sur le marbre froid. Rien de tout cela : la Camarde n'a pas besoin de publicité, sa clientèle est assurée. De plus, n'hésitant sur aucun sacrifice, la publicité assure que les frais d'expédition – on ne sait dans quel monde – sont pris en charge par le fournisseur.

Passer de l'article de la mort, « in articulo mortis », « le moment de la mort » à la mort en article , voilà de quoi atténuer les pires craintes. Epicure peut se retourner dans sa tombe : il n'avait pas prévu que la mort puisse être elle aussi réduite à une marchandise. En effet, solder des articles funéraires « pour qu'ils ne passent pas l'hiver » car l'année prochaine ils seront « passés »... de mode, c'est les traiter au même niveau qu'un vêtement, un meuble, l'amour de la Saint Valentin ou la fête de Noël. C'est traiter la mort et ce qui l'entoure comme un phénomène ordinaire : ce n'est pas sans risque. L'homme vit sa pleine humanité dans ses constructions symboliques, il meurt de leur désagrégation. Le processus de désymbolisation et la transformation de toute chose en marchandise, commencé au XVIème siècle, s'accélère aujourd'hui. Il laisse l'homme comme « un voyageur sans bagages » qui peut oublier son être, sa substance et comme le dit René Char, qui pourrait oublier jusqu'à la poussière de son nom.

Et comme un bonheur ne vient jamais seul, un courrier m'invite, lui, à souscrire à un Capital prévoyance Funéraire qui, s'il ne met pas à l'abri de la mort, préserve au moins mes proches de toutes les tracasseries provoquées par mes obsèques. Et si je souscris rapidement, j'aurais même un kit cirage en cadeau. Un kit cirage ! Rien de moins ! Pour mes obsèques ! Dans quelle tête a-t-on pu imaginer pareille association. A moins que ce ne soit pour cirer... mes pompes. Funèbres bien entendu. Ainsi va le monde...

Didier Martz, philosophe, essayeur d'idées

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