469 – Les raisi(o)ns de la colère

. Le bébé a froid. Tenez, prenez cette couverture. Elle est en laine. C'était la couverture de ma mère... prenez-la pour votre bébé. C'est le commencement... du "Je" au "Nous".

« Les raisins de la colère » est un roman de John Steinbeck qu'il publia en 1939. John Steinbeck est né le 27 février 1902 à Salinas et il est mort le 20 décembre 1968 à New York. Le livre fut d'abord interdit dans plusieurs villes de Californie mais en 1940, lorsque le roman est adapté au cinéma, il reçoit le Prix Pulitzer. L'intrigue se déroule pendant la Grande Dépression, encore appelée « crise de 1929 » aux Etats-Unis où nous suivons les aventures d'une famille pauvre de métayers, les Joad, qui est contrainte de quitter l'Oklahoma à cause de la sécheresse, des difficultés économiques et des bouleversements dans le monde agricole. L'arrivée du tracteur, le regroupement des terres et l'expropriation des fermiers de leur terre qui s'ensuivit fut une des raisons principales de leur départ. Alors que la situation est quasiment désespérée, les Joad font route vers la Californie avec des milliers d'autres Okies, à la recherche d'une terre, de travail et de dignité. Okie désigne un résident ou un natif de l'Oklahoma. A l'époque, il est utilisé pour nommer de manière péjorative les ouvriers agricoles itinérants pauvres, et leur famille, forcés d'abandonner leur ferme. Extrait :

« Un homme, une famille chassés de leur terre; cette vieille auto rouillée qui brimbale sur la route dans la direction de l'Ouest. J'ai perdu ma terre. Il a suffi d'un seul tracteur pour me prendre ma terre. Je suis seul et je suis désorienté. Et une nuit une famille campe dans un fossé et une autre famille s'amène et les tentes se dressent. Les deux hommes s'accroupissent sur leurs talons et les femmes et les enfants écoutent. Tel est le noeud. Vous qui n'aimez pas les changements et craignez les révolutions, séparez ces deux hommes accroupis; faites-les se haïr, se craindre, se soupçonner. Voilà le germe de ce que vous craignez. Voilà le zygote. Car le "J'ai perdu ma terre" a changé; une cellule s'est partagée en deux et de ce partage naît la chose que vous haïssez: "Nous avons perdu notre terre." C'est là qu'est le danger, car deux hommes ne sont pas si solitaires, si désemparés qu'un seul. Et de ce premier "nous" naît une chose encore plus redoutable: "J'ai encore un peu à manger" plus "Je n'ai rien". Si ce problème se résout par "Nous avons assez à manger", la chose est en route, le mouvement a une direction. Une multiplication maintenant, et cette terre, ce tracteur sont à nous. Les deux hommes accroupis dans le fossé, le petit feu, le lard qui mijote dans une marmite unique, les femmes muettes, au regard fixe; derrière, les enfants qui écoutent de toute leur âme les mots que leurs cerveaux ne peuvent pas comprendre. La nuit tombe. Le bébé a froid. Tenez, prenez cette couverture. Elle est en laine. C'était la couverture de ma mère... prenez-la pour votre bébé. C'est le commencement... du "Je" au "Nous".

Voilà le zygote, le nouvel individu qui n'est plus simplement ce JE de l'individualisme contemporain - ou plutôt le produit d'un processus d'individualisation - mais un NOUS, un être ensemble. Et, nous dit John Steinbeck, posséder des choses dont les autres manquent est l'occasion rêvée de passer de l'un aux autres, du JE au NOUS, une manière d'échapper à son destin, d'accomplir un printemps fut-il arabe. Mais comme le bateau contient le naufrage la possession peut produire le contraire « Car, dit Steinbeck, le fait de posséder vous congèle pour toujours en «je» et vous sépare toujours du «nous». » Ainsi va le monde

Didier Martz

Ajouter un commentaire

Les commentaires peuvent être formatés en utilisant une syntaxe wiki simplifiée.

Ajouter un rétrolien

URL de rétrolien : https://www.cyberphilo.org/trackback/151

Haut de page