Ainsi va le monde n°428* - Auto-mobile ou auto-nomie

Paris. 7 heures, midi, 17 heures… Des personnes retenues en otage pendant des heures dans des boites métalliques. Un acte terroriste ? Non, il s’agit des embouteillages dans lesquels sont pris quotidiennement des centaines de milliers d’individus. Il y a là quelque chose de révoltant. Une atteinte à la liberté de circuler dont les Gilets Jaunes ne sont pas responsables. Comment en est-on arriver là ? Comment peut-on accepter cela ?

Je repensais à une étude statistique. Elle est déjà ancienne et les chiffres qu’elle indique sont largement dépassés. Cependant, avec quelques adaptations, elle reste édifiante sur le fond. Cette étude (citée par Ivan Illich dans Energie et Equité) montrait qu’un américain type consacre plus de 1500 heures par an à sa voiture : il y est assis, en marche ou à l’arrêt (le plus souvent à l’arrêt dans des embouteillages) ; il travaille pour la payer, pour payer l’essence, les pneus, l’entretien, le lavage, le péage, l’assurance, les contraventions, les taxes. Il consacre ainsi quatre heures par jour à sa voiture, qu’il s’en serve, s’en occupe ou travaille pour elle. Sans compter ici toutes les activités orientées par le transport : le temps passé à l’hôpital (et hélas le temps passé aux activités funéraires), au tribunal ou au garage, le temps passé à regarder à la télévision la publicité automobile, etc.

A cet Américain, poursuivait l’étude, il faut donc environ 1500 heures pour faire 10000 km, soit six kilomètres à l’heure. Il s’agit là du temps social moyen consacré à la voiture. Vous devez l’intégrer dans le calcul du temps mis à parcourir telle ou telle distance lors d’un déplacement, de Reims à Paris par exemple. Dans les pays privés d’industries du transport, les gens atteignent exactement cette vitesse, et l’orientent vers n’importe quelle destination, par l’usage de la marche, comme cet enfant africain pour aller chercher de l’eau au puits, ou aller au dispensaire ou à l’école.!!

On m’objectera qu’avec la voiture, on peut couvrir à certains moments de plus grande distance et qu’il n’est pas ou plus possible d’aller de Reims à Paris à pied. Certes. Mais c’est là le résultat d’une configuration particulière de l’espace social dicté par les politiques du tout automobile. Inversez le propos suivant « nous nous déplaçons parce que tout est loin : loisirs, commerce, travail, etc. » et remplacez le par : « ce sont les autoroutes qui font reculer les champs et les jardins hors de portée du consommateur, les ambulances repoussent les cliniques (qu’on veut fermer); les transports scolaires éloignent les écoles, la voiture éloigne le supermarché ou le cinéma multiplex, repousse le domicile très loin du lieu de travail. »

L’usager (ou usagé) vit dans un monde qui n’est pas celui des personnes douées d’autonomie (qu’on confond avec automobile). Il est conscient de l’exaspérante pénurie de temps engendrée par le recours quotidien à la voiture et souvent dans un même espace d’une vingtaine de kilomètres à peine. Il met follement son unique espoir dans plus de la même chose : plus de circulation par le même genre de transport. Il attend son salut de changements d’ordre technique qui affecteraient la conception des véhicules, des routes et des réglementations. Il attend beaucoup du doublement de la « deux voies » ou de la construction d’un rond point. Il vit en permanence le paradoxe de son immobilité objective et de son désir subjectif d’espace et de liberté utilisé par les publicités pour belles voitures. Et prenant acte du fait que le temps passé dans la voiture est de plus en plus long, il la transforme (aidé par les constructeurs), par de multiples aménagements confortables, en résidence secondaire à laquelle il est assigné.

Didier Martz 22 Octobre 2018 www.cyberphilo.org

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