Ainsi va le monde n°426* - Les vertus du zapping

Où « zapper » est une compétence peu valorisée pour rester à la surface des choses..

Qui n’a pas fulminé ouvertement ou en son for intérieur à la vue de cet adolescent, devant l’écran de télévision, rester 30 secondes sur une émission puis passer autant de temps sur une autre pour revenir à la première et ainsi de suite ? Pour celui qui est habitué à la durée contre l’éphémère, la permanence contre le jetable, le zapping, puisque c’est de cela qu’il s’agit, est une sorte d’affront à la rationalité. Cette esquive permanente du téléspectateur, ce papillonnage est une offense à la Raison.

En effet, qu’il s’agisse de se divertir ou d’apprendre, cela suppose du temps et de la constance. De l’ordre et de la rigueur. Les choses se succèdent dans une temporalité, avec un avant et un après et en général avec une explication causale. Un film, un documentaire, un débat, se déroulent dans un ordre logique de façon linéaire. C’est d’ailleurs ainsi qu’on est capable d’apprécier ou de critiquer, d’argumenter, d’analyser, en somme de réfléchir. Et même s’il s’agit d’un film de série B, indépendamment de son contenu, il se déroule logiquement.

Le zapping est tout autre. Zapper c’est passer d’un sujet à un autre, sans transition comme l’on dit ; c’est arriver après alors que tout s’est dit avant ; c’est se retirer d’une pub pour aller vers un documentaire animalier, tout de suite délaissé pour Star Académy et enfin échouer pas plus d’une minute sur un téléfilm.

Il est vrai que la télévision, notamment dans ses bulletins d’informations nous a habitué aux zapping permanent, elle qui passe d’un sujet à l’autre, grave ou anodin, et ce sans transition. Météo, bourse, politique, anecdotique, publicité, tout se mêle sans cohérence aucune. Prenant en compte cette pratique, elle produit même des émissions dites « Zapping ». Zapper est sans doute devenu une façon nouvelle d’être en rapport avec le monde : l’urgence prétendue, la vie s’accommode mal de rythme lent, de temps où l’on se pose. A la frénésie des spectacles correspond la frénésie de la vie. Ainsi progressivement, se détache-t-on de nos modes de pensée antérieurs.

Le zapping est en passe de devenir la structure mentale probable du siècle nous dit Hervé Fischer. Il tient l’esprit en éveil, le provoque par l’incongruité de la succession de toutes ces informations qui n’ont aucun lien entre elles. A la pensée figée, organisée du rationalisme, il oppose une pensée souple, imaginative qui est capable de trouver du sens dans un monde dont la complexité est croissante.

De plus, et c’est son aspect réjouissant, le zapping est le symbole de la liberté de l’esprit du télespectateur-objet qui choisit d’échapper au piège commercial en esquivant la publicité ; qui refuse l’ennui provoqué par certaines émissions. Le zapping est ainsi une forme de sanction et on peut lui trouver quelques vertus. Et par cette manifestation intempestive de liberté, on comprend qu’il est mauvaise réputation !!!

Didier Martz, philosophe 14 0ctobre 2018 www.cyberphilo.org

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