424 - Transmission : un train peut en cacher un autre

Aussi loin qu'il m'en souvienne, le feu a toujours exercé sur moi une fascination. Pourtant, il pourrait sembler a priori que le feu, loin de susciter l'attirance provoque la répulsion. Une répulsion liée à l'expérience d'une brûlure. Or, au moins en ce qui me concerne et aussi loin que je puisse remonter dans le temps, je n'en ai pourtant pas d'expérience significative. Mon expérience première du feu n'est pas, paradoxalement, celle d'une brûlure. Je me souviens par contre bien de la piqûre. Je sais - mieux encore je sens - qu'elle fait mal et je prends sur moi lorsque par nécessité - vaccin, don du sang ou autre - je dois en recevoir une. La piqûre renvoie à une expérience physique. Or, la brûlure n'a pas le même statut. J'ai peur de la piqûre mais je suis fasciné par le feu. Fascine ce qui est spectaculaire, fascine encore ce qui est mystérieux ; fascine toujours ce qui est interdit.

Le feu fascine parce qu'il est interdit d'y toucher. Comme le dit Bachelard dans son livre la Psychanalyse du feu, la première expérience du feu est une expérience sociale, une expérience de l'interdit : « touche pas au feu, ça brûle ». Ce qui compte dans le message paternel ou maternel, ce n'est pas le « ça brûle » mais le « touche pas ». Ce qui s'est transmis dans l'injonction ce n'est pas l'expérience physique de la brûlure - aucun mot ne peut y parvenir -, mais l'interdit social. Nous ne transmettons jamais que des façons de se conduire, accessoirement des savoirs.

Pour Mac Luhan, " Medium is message ", le moyen de la transmission est le message. Ainsi, la vertu – ou le vice – première de la télévision ne tient pas dans les informations parlées et imagées qu'elle diffuse mais dans le fait de nous maintenir assis pour l'entendre et la regarder. Elle épouse ainsi les formes dominantes de la transmission qui obligent les corps à être dans une certaine posture sociale non pas pour pouvoir mieux écouter mais pour être, d'abord et avant tout, « en ordre », « en rang ».

Ainsi de l'Ecole et de sa fonction de transmission. Avant même qu'elle ait pris la parole par la voix de ses enseignants, avant même qu'elle ait énoncé une leçon de morale, fut-elle laïque, elle a mis de l'ordre, elle a établi un ordre. Ce qu'apprennent les enfants avant toute chose à l'école est de se mettre en rang, de se tenir assis 5, 6 voire 8 heures d'affilée, de répondre toutes les heures au commandement de la sonnerie, se lever ou s'asseoir à la demande, s'imprégner d'une certaine manière d'occuper l'espace et le temps, de re-dresser son corps.

Le discours silencieux de l'Ecole est celui de la discipline. Discipline qui certes permet de donner les cadres communs nécessaires au fonctionnement de l'école et de la société telle qu'elles sont conçues mais discipline tout de même.

Didier Martz, jeudi 20 Septembre 2018

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