Ainsi va le monde n° 322 - L'ange de l'oubli

L'origine de la fossette qui va de la base du nez à la lèvre supérieure est une énigme.

Ce n'est certes pas le seul élément superflu qui compose notre corps mais celui-ci est particulier. Correspondrait-il à un simple souci esthétique ou serait-il destiné à faciliter un écoulement nasal ? On se perd en conjectures. Cet extrait du Talmud nous renseigne : « Toute la Tora est enseignée à l’embryon, comme il est dit : ‘Il m’instruisait alors et me disait, que ton coeur retienne mes paroles et tu vivras. Dès que l’enfant vient au monde un ange s’approche de lui et lui donne un coup sur la bouche, ce qui lui fait oublier la Tora toute entière, comme il est dit dans Genèse 4,7 : « Le péché est tapi sur le seuil... ».

Ainsi, le coup donné par l'ange scelle la bouche de l'enfant pour l'empêcher de parler. La raison invoquée est qu'il possède le savoir entier de l'humanité. Mais à quoi bon le lui avoir appris si c'est pour lui retirer ? Il sait toute la Torah, il connaît les mystères de la création et tout ce que les hommes ont pu produire depuis le feu jusqu'à la bouteille de Coca Light comme il est dit dans le film « Se souvenir des choses belles ». De plus, l'âme qui attend d'être incarnée et qui est venue se poser sur l'embryon, sait non seulement le passé mais aussi le futur. Elle sait tout ce qui arrivera à l'enfant, les choix qu'il va faire, la vie qu'il va mener. On commence à deviner les conséquences que pourrait avoir la révélation d'un tel savoir sur l'enfant et sur l'humanité. Le monde serait un monde sans histoire, sans devenir, où tout serait jouer d'avance. Faire connaître ce qui doit rester caché serait donc un péché, un péché tapi sur le seuil de la bouche, prêt à sortir par la parole. C'est pourquoi l'ange pose un doigt sur la bouche du bébé en lui disant « chut » et laisse son empreinte, un sillon naso-labial. Ainsi l'enfant oublie tout, devient innocent et pourra faire de sa vie ce qu'il veut. Maintenant il peut crier.

Voilà pourquoi nous avons tous ce petit creux au-dessus de la lèvre supérieure. C'est la marque de l'ange qu'on appelle l'ange de l'oubli. Pour certains, elle est plus nette, signe qu'ils ont voulu tenter de dire quelque chose de ce savoir aussi l'ange a-t-il été obligé d'appuyer un peu plus fort. Il arrive que d'autres ne l'ont pas. C'est le cas du vieux juif Nahum Ben Ibrahim mis en scène par Jonathan Litell dans son roman les Bienveillantes. Il se souvient de tout et sait tout, même de l'endroit où il va être tué et enterré par le nazi Max Aue, le « héros » entre guillemets du roman. Max Aue s'étonne de cette mémoire prodigieuse et doute de la capacité divinatrice du vieillard. De plus, intrigué par l'absence de creux au dessus de la lèvre du juif, il lui pose la question. Nahum Ben Ibrahim dit Chamaliev lui répond en se frottant la lèvre : « Ca ? Quand je suis né l'ange ne m'a pas scellé les lèvres et je me souviens de tout ».

A Calais, des migrants, autrement dit des hommes, se sont cousus les lèvres. Sans doute pour ne pas révéler la misère du monde. Ainsi va-t-il !

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