Ainsi va le monde n° 320 - Liberté d'expression

La liberté d'expression est-elle un bien également partagé ?

La liberté d'expression est la possibilité pour chaque individu d'exprimer ses opinions librement en privé et dans l'espace public. Sauf les opinions condamnées par la loi comme les propos racistes et xénophobes ou encore celles qui relèvent de la diffamation. La diffamation porte atteinte à l'honneur et à la considération d'une personne ou d'un corps constitué, elle est donc condamnable. Par contre le blasphème, lui, est permis, permission qui a suscité nombre de débats à propos des caricatures de Charlie-Hebdo. Dans la série des limites à la liberté d'expression, viennent s'ajouter les convenances morales qui fonctionnent comme une auto-censure. On ne peut en effet tout dire à une personne sauf à courir le risque de la blesser profondément. En dehors de ces limites chacun peut s'exprimer librement.

On distinguera cependant ce qui se dit dans un espace privé et dans un espace public. Si dans un espace privé, l'espace entre amis, tout semble pouvoir se dire, il ne peut en être de même dans l'espace public pour les raisons évoquées ci-dessus. Mais « pouvoir dire » n'est pas seulement une affaire juridique ou morale. Il est aussi lié à la manière de parler et à un vocabulaire jugés recevables ou pas selon la norme officielle du parler convenable. De plus, si la liberté d'expression est un bien commun à tous, n'en use pas qui veut.

Pour pouvoir parler en public, il faut y être autorisé et par conséquent avoir une parole légitime. L'autorité vient au langage du dehors. Comme l'indique le linguiste Emile Benveniste dans son étude sur le vocabulaire des institutions européennes... dans la Grèce Antique, le skeptron est tendu à l'orateur qui va prendre la parole. Le skeptron est un bâton qui autorise l'orateur à parler et qui en même tant indique que sa parole est légitime. De nos jours, la bâton a disparu et a été remplacé par d'autres instruments qui autorisent à parler et qui légitiment la prise de parole : la chaire du prêtre ou du professeur, la blouse blanche du médecin, le micro ou la caméra du journaliste à la radio ou la télévision. Un même propos tenu en dehors ou derrière un micro n'a pas la même saveur de vérité. L'avoir « entendu à la télé » lui donnera magiquement une force qu'il n'aurait pas sans elle.

On objectera que les possibilités de s'exprimer se sont multipliées. Des radios, des journaux et même des télévisions existent par centaines sur tout le territoire. On ajoutera, pour preuve, que grâce aux réseaux sociaux, ici on blogue, là on crée un site, chacun peut là où il veut laisser un commentaire, évaluer une prestation, un service. Bref tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles de l'expression.

A la réserve près que parmi ces expressions toutes n'ont pas la même valeur. Non pas parce qu'elles sont inintéressantes – encore que beaucoup le sont – mais parce que, comme dirait Pierre Bourdieu, sur le marché de l'expression elles n'ont pas le même statut. Ainsi lorsqu'on a clamé que la liberté d'expression était menacée c'est celle de ceux qui en ont le monopole. Pour les autres, ou une partie d'entre eux, réduite à la portion congrue... celle octroyée à l'occasion d'un sondage dit d'opinion. Elle est loin d'être menacée ! Mais je lis que par le réseau dit social plus d'un million de personnes a repris la parole sans skeptron et a signé une pétition contre la loi sur le travail. Ainsi va le monde ! Le Mercredi 2 Mars 2016.

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