Ainsi va le monde n° 375 - Pléonexie (2)

Pour Dany Robert Dufour (psychanalyste) la pléonexie c'est l'accumulation, la boulimie d'avoir et d'avoir toujours plus. Elle désigne le fait de « vouloir plus que sa part ». Cette attitude est sévèrement condamnée chez les Grecs et en particulier Platon car elle s'apparente à l'hubris, la « démesure »...

Il en faisait même une déviance voire un tabou. Platon se demande si la pléonexie ne ferait pas courir aux sociétés des risques de conflits à l'intérieur et de guerres à l’extérieur. De plus, elle peut provoquer des troubles psychiques chez l'individu. Ils relèveraient alors de ce qu'on pourrait appeler le syndrome de Picsou, ce personnage de Walt Disney qui n'a de cesse d'accumuler et d'accumuler encore des pièces d'or. Ce comportement a déjà été largement personnifié par Harpagon dans l'Avare de Molière et condamné depuis longtemps par la morale chrétienne. L'avarice entrant dans la liste des péchés capitaux. Marcel Mauss dans son Essai sur les variations saisonnières des sociétés eskimos note que « les gens d'une station veillent jalousement à ce que nul ne possède plus que les autres ; quand le cas se produit, le surplus, fixé arbitrairement, retourne à ceux qui ont moins. Cette horreur de la pléonexie est aussi très développée dans les régions centrales. » Un exemple à suivre !

Bref ce qui fait dire à Dany Robert Dufour dans son livre justement titré "Pléonexie", que l’ordre social moral s’est longtemps protégé en restreignant la pléonexie. Cependant, selon lui, une brèche s'est produite aux 16ème et 17ème siècles avec la philosophie libérale qui pose au contraire que la société ne peut être fiable si elle ne laisse pas libre cours à la tendance dite naturelle des individus à la démesure, à l'accumulation, à la pléonexie. C'est dans la fable des abeilles de Mandeville qu'on en trouve l'expression la plus franche. Ce fut d'ailleurs un scandale à l'époque de pouvoir affirmer que c'est en laissant libre-cours aux vices privés qu'on pourrait arriver plus sûrement à de la vertu publique. En somme, laissez les individus poursuivre leurs intérêts privés et au bout du compte ils produiront de l'intérêt général... mais sans le savoir.

Avec la financiarisation de l’économie mondiale, la pléonexie bat son plein. Elle a largement dépassé le stade où on accumulait pour investir, pour anticiper des jours mauvais, pour réaliser un projet. Aujourd'hui on accumule simplement pour accumuler car comme disait Alain le philosophe au-delà d'un million de francs (de l'époque) on ne rêve plus. Aussi amasser, entasser des actions boursières, les revendre pour avoir toujours plus est une fin en soi, une pathologie. La pléonexie génère des risques sociaux importants. Elle conduit à faire toujours plus de pauvres, plus de sacrifiés, plus d'affamés. Plus grave aussi c'est que c'est une maladie contagieuse qui s'étend à toutes les couches de la société. On en voit les symptômes lors d'une distribution de bonbons ou de gadgets lorsque la caravane du Tour de France passe. Et les chiens ne se contentent pas d'aboyer !

En laissant entendre que chacun est guidé par cette même volonté d'empiler et de ramasser, les grands financiers de ce monde posent que c'est un comportement naturel et normal et que chacun, dans la grande cour de récréation qu'est le Marché Mondial, a toutes ses chances. On rappellera juste que 83,3 % de la richesse mondiale est détenue par seulement 8,4 % de la population dont le niveau de fortune est supérieur à 100 000 dollars. Les 1 % les plus fortunés contrôleraient pas moins de 46 % du patrimoine mondial total. A l’opposé, les 50 % des individus les moins fortunés détiennent à peine 1 % du patrimoine mondial. En réalité, près de la moitié des habitants de la planète ne possèdent tout simplement quasiment rien, ou des biens de valeur monétaire presque nulle : un habitat de fortune, quelques têtes de bétail, une voiture ancienne...

De quoi rêver ! Ainsi va le monde !

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