Ainsi va le monde n° 318 - Chez moi

Le temps de cette chronique, je voudrais attirer votre attention sur deux mots qui forment ensemble une expression : « chez moi », ou « chez soi » si l'on préfère. Une expression bien triviale qui ne vaudrait pas qu'on s'y arrête. Pas si sûr !

« Chez » nous dit le dictionnaire est une préposition exprimant la relation « à l'intérieur de », cet intérieur étant considéré comme le siège de phénomènes typiques. On songe bien évidemment à la maison où l'on habite, où l'on séjourne habituellement. Le « moi » de « chez moi » désignant ce lieu. Par conséquent, dire « je rentre chez moi » ou bien « je suis chez moi » indique que je me rends, ou que je suis, là où j'habite.

En prenant l'expression au sens propre et en particulier le mot « moi », « aller chez moi » ou « être chez moi » prend une toute autre signification. Le moi est alors le moi psychologique, cette conscience que nous avons de nous-mêmes, conscience qui nous laisse penser avec illusion que nous sommes des êtres uniques traversés d'états affectifs, successifs et variés. « Rentrer chez moi » signifie, au pied de la lettre, que séparé de moi, en dehors de moi, je vais me retrouver. Et « être chez moi » signifiant alors que je suis rentré en possession de moi-même, que je coïncide avec moi-même. Ainsi, après une journée de travail, en dehors de soi, divisé, il est bon de rentrer chez... soi, dans son moi, de se retrouver. Le moi est ici l'intimité dont sait qu'elle peut être mise à mal après une effraction, un cambriolage. Une porte fracturée c'est un moi brisé.

On sourira en pensant ici à un sketch de Raymond Devos jouant avec les mots. On aurait tort. Le fait que le moi puisse être à la fois le lieu d'une habitation et la qualification centrale de la personne n'est pas sans conséquence ni enjeu. La proximité des deux significations indique que la demeure, la maison est constitutive de l'identité d'une personne et que le moi psychologique ne peut se penser, s'identifier sans un lieu où il se fixe, s'ancre.

On ne répond vraiment à la question de ce que nous sommes qu'en indiquant où on habite, d'où on vient et où on va. Pierre Dac, l'humoriste des deux guerres, à la triple question : «Qui suis-je ? D'où viens-je ? Où vais-je ?», répondait : «Je suis moi, je viens de chez moi, et j'y retourne.» Il montrait par là, sans doute mieux que n'importe quel philosophe, que le lieu où on habite est constitutif d'une identité.

Aussi tous les discours fumeux de l'origine, du droit du sang et du sol, de la souche, de la race, de la nationalité... pour définir l'identité d'un individu sont inanes et vains. Un individu doit d'abord être chez lui c'est-à-dire dans un lieu pour être lui. « Etre sans feu ni lieu », c'est n'avoir aucun domicile assuré comme disait Boileau au XVIIème siècle. Aujourd'hui, on dit « migrant » ou « SDF ». Ne pas avoir de chez soi, c'est ne pas être soi, c'est être diminué. Et, allègrement du « sans feu ni lieu » on saute au « sans foi, ni loi », au brigand. Ainsi va le monde ! Le mercredi 17 Février 2016

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