Ainsi va le monde n° 301 - Le stade du miroir

Pouvoir se regarder dans une glace...

Pour les psychanalystes, le stade du miroir est ce moment où l'enfant prend conscience de lui-même, de son unité corporelle, en voyant son image reflétée par le miroir. Je me suis laissé dire que le corbeau pouvait lui aussi vivre cette expérience. Cette étape est importante dans la vie des individus et elle laissera son empreinte tout au long de la vie. On ne sera donc pas surpris de trouver des miroirs partout dans les salles de bain, les toilettes publics, les magasins et autres lieux. Les flaques d'eau, les vitrines, le rétroviseur... autant de possibilités de vérifier que nous existons. Beau, pas beau, bien, pas bien, mais nous existons. Une question que pose de manière lancinante la Belle-Mère de Blanche-Neige : Miroir, mon beau miroir, suis-je toujours la plus belle ? » Le mot le plus important ici n'est pas belle mais « suis-je », du verbe être. Est-ce que j'existe ? Le miroir réfléchit, renvoie notre image, nous construit. Intransigeant, il pointe le moindre défaut comme le plus bel atour.

Sans doute vous arrive-t-il parfois de vous arrêter sur ces aires d'autoroute aux noms poétiques : La Talmouse, L'espérance, Le Mont de Charme, la Noblette... pour satisfaire aux exigences de la nature et de vous rendre dans ces lieux qu'on appelait autrefois des lieux d'aisance ou des commodités devenus, sous la pression hygiéniste, des vécés ou des toilettes.

Vous êtes donc sur cette aire d'autoroute au nom poétique et vous cherchez un lieu. Tous, hélas, sont pris ou fermés, et ne reste que celui réservé aux personnes handicapées. Regard circulaire, pas de fauteuil roulant en vue, pas de pancarte « si tu prends ma place, prends mon handicap ». Allons-y.

Pièce spacieuse qui permet les rotations d'un fauteuil, barre de maintien, parfait état de propreté, tout à hauteur, le lavabo, le sèche-mains, le distributeur de savon, etc. Tout a été conçu en fonction des desiderata des personnes handicapées physiques et leurs besoins. Oui, je précise physique car pour les handicapés mentaux, on est encore à l'âge de pierre en matière d'aménagements.

Une chose manque cependant et manque fréquemment pour avoir eu à emprunter, sans vergogne, ce genre d'espace très adapté d'ailleurs aux claustrophobes allergiques aux espaces confinés. En effet, il n'y a pas, ou rarement, de miroirs au-dessus du lavabo. Intriguant, non ?

Je fais l'hypothèse - je souligne hypothèse - que pour les concepteurs ou ingénieurs de toilettes pour handicapés, il n'est pas utile de poser des miroirs car l'image réfléchie les renverrait à leur condition, d'être des êtres dont l'unité corporelle s'est en partie brisée, disjointe. Une image que nos penseurs/concepteurs jugent, selon eux, insupportables.

Si les miroirs réfléchissent, ce ne semblent pas être le cas de nos juges. Peut-être devraient-ils commencer par se regarder dans une glace. Pouvoir le faire est dit-on le premier pas vers une prise de conscience morale. Ainsi va le monde ! Le 6 octobre 2015

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